Je vous emmène aujourd’hui en voyage en Chine aux confins du Yunnan.
Wang est venue nous chercher à Lijiang, comme promis.
Elle va nous faire découvrir les merveilles du lac Lugu, ce lac de légende qui est bien plus qu’un joyau à l’eau claire et bleutée où elle vit des jours heureux
Nous avons roulé toute la journée, traversé les sauvages montagnes du Yunnan septentrional, et tout d’un coup, au passage d’un col, une vision de rêve nous saute aux yeux : le lac comme un écrin d’azur entouré de hautes montagnes, au rivage verdoyant où se blottissent de petits villages aux maisons de bois, avec des îlots paraissant flotter sur le miroir argenté, qui nous plonge soudain dans l’irréelle sensation d’un voyage bien plus lointain que celui que nous faisons.
Première esquisse du lac Lugu dans le "carnet-fleur" (dont chaque page s’ouvre en origami).
Il est là le pays Mosso de Wang, qu’elle va partager avec nous pendant quelques jours à peine.
Le paradis des femmes libres, d’une autre forme de société, d’une approche familiale différente de celles auxquelles nous sommes habitués. Bien plus qu’à travers une légende, nous allons découvrir avec elle les principes de vie de sa minorité qui va nous transporter par-delà ses traditions ancestrales dans une étonnante modernité.
Nous, nous sommes venus dessiner et peindre des images furtives d’un Yunnan intime pour un carnet de voyage hors du commun où nos rencontres avec les paysages et quelques-unes de 25 minorités de l’empire au sud des nuages nous réservent de nombreuses surprises sur les chemins de la beauté.
Le lac Lugu est une perle de saphir posée sur ce haut plateau comme un cadeau des Dieux à la frontière des provinces chinoises du Sichuan et du Yunnan. Au fond, la Montagne Mère Gemu déesse de l’amour, qui culmine à plus de 3700 m… Cette belle montagne karstique est aussi appelée « Mont de la Femme ».
Wang et sa grand-mère, la “dabu” (la chef de famille), vivent dans un petit village au bord du lac Lugu.
Nous voici chez elles qui nous accueillent dans la grande pièce à vivre de la maison (« l'yimei »), sombre, sans fenêtre, toute de bois, légèrement enfumée par le foyer central posé à même le sol où mijote une marmite de fonte sur un trépied au-dessus du feu.
La "dabu" est la matriarche, c'est elle qui a été choisie par les membres du clan pour gérer les affaires sociales, économiques et la maison-clan tout entière.
Elle est la plus compétente, la plus expérimentée. En véritable chef, elle administre toutes les possessions du clan : les champs, la maison, les animaux domestiques, elle organise le travail, gère le budget, le patrimoine et la nourriture de la famille.
C'est elle qui reçoit les visiteurs et préside à la distribution de la nourriture dans la grande pièce de « l'yimei » où nous nous trouvons.
Elle nous offre le repas, qui est un repas de fête et de cérémonie, semblable à celui des rituels de puberté, lorsque garçons et filles de treize ans révolus, deviennent ainsi adultes et participent de façon effective à la vie du clan et de la société .
À la fin du repas, Wang et sa grand-mère posent pour nous en habit traditionnel.
C'est un grand honneur et un privilège qui nous sont offerts, moment rare en voyage que de réunir ainsi dans une même image l'intimité de ce clan, où deux générations résument à elles seules les mutations de toute la société matriarcale Mosso.
Premier croquis de Wang et de sa grand-mère réalisé dans la pièce sombre la plus importante pour le clan (« l'yimei »).
Intense émotion en les dessinant, d'avoir l'impression de saisir deux visages de cette société où traditionnellement le père n'existe pas, ce rôle étant joué par l'oncle maternel. D'un côté celui d'une matrilignée où toute la vie s'organise autour de la mère depuis des siècles, où le mariage et la vie conjugale n’ont pas droit de cité, où une grande liberté amoureuse (mais pudique, les jeunes femmes recevant chez elles leurs amants qui entrent par la fenêtre de leur chambre la nuit en toute discrétion) caractérise la jeunesse, et de l'autre celle d'une jeunesse différente, attirée par la mondialisation patriarcale, partagée entre tradition et modernité.
Émotion en songeant à l'avenir des Mosso et à celui de leur paradis que j'imagine déjà perdu face aux récupérations du monde moderne :
- Pendant combien de temps leurs traditions et principes de vie vont-ils perdurer ?
- Nos promenades sur le lac déesse-mère Lugu se feront-elles toujours au rythme des pagaies comme lorsque les pirogues sans moteur nous amenaient visiter le monastère lamaïque sur l’île de Liwubi ?
- Et les jeunes femmes en désir de maternité iront-elles toujours boire à la source sacrée de la caverne de la Montagne Mère Gemu déesse de l’amour, qui domine le lac ?
Rapide prise de notes d’une femme Mosso marchant au bord du lac.
Avant de quitter le paradis de Wang, nous avons partagé la danse collective guozhuang à la tombée de la nuit autour d'un grand feu de bois.
Ces odes à l'amour reprises tour à tour par garçons et filles sur les airs du flûtiste meneur de danse, n'étaient-elles pas déjà un cérémonial muséifié, éclairé par des flammes aux lueurs étranges qui me laissaient entrevoir les braises d'un enfer aux portes d'un paradis ?
Alors, j'ai refait le portrait de Wang et de sa grand-mère en plus grand format pour les éterniser, comme pour mentalement les protéger, afin que leur image et celle de leur paradis restent dans ma mémoire plus belles qu'une légende, et accompagnent mes souvenirs d'une société libre, pacifique, et légère comme celle de la main d'une petite fille qui dessinerait son avenir sur les rives du lac Lugu...
Aquarelle plus traditionnelle de Wang et de sa grand-mère réalisée en plus grand format à partir des études initiales faites dans l'yimei de leur maison.
Les hommes ne sont pas exclus de la vie sociale de ce système matricentré, ils y participent au contraire activement, mais résident dans la maison de leur mère toute leur vie ou dans une maison à part où ils se retrouvent entre eux, et si les femmes gèrent la vie intérieure de la maison, du clan, ou de la communauté, eux gèrent les affaires extérieures, le partage des tâches restant équilibré.
"Autrefois, on pensait que sans le mariage, une société ne pouvait pas fonctionner. Mais les Mosuo sont là pour prouver le contraire. Lors du 50e anniversaire des Nations Unies, on a donné aux Mosuo le titre de communauté modèle, car selon les anthropologues, il n’y aurait pas de rapports de domination entre les hommes et les femmes ni de conflits relatifs au droit de propriété comme dans la plupart des sociétés patriarcales. Et surtout, il ne faut pas oublier que les Mosuo n’ont pas dans leur vocabulaire les termes liés à la guerre, aux meurtres ou à la prison." (http://matricien.org/geo-hist-matriarcat/asie/moso/mous/)
Ci-dessous, la vidéo originale de l'article de notre rencontre avec Wang, sa grand-mère et le peuple Mosso (s'écrit aussi "Mosuo")
La vidéo originale de l'article ci-dessus.
Pour terminer cet article, je ne résiste pas au plaisir de rajouter cette aquarelle extraite de mes travaux de voyage traduits au retour en peintures de grand format.
Elle exprime à elle seule le lien profond unissant les femmes Mosso au lac Lugu, aussi bien que l'émotion esthétique ressentie à les voir voguer sur ce lac au bleu intense, comme autant de pirogues ornées de fleurs de lotus...