L’art transforme-t-il notre conscience du réel ? … ou la musique du désert .
La musique du désert (Music of the desert) from Frenchwatercolourist on Vimeo.
Il m’a fallu beaucoup de temps pour finaliser cette vidéo, et même si elle est réalisée avec les moyens du bord tant aux prises de vues (extraites de 10 ans de stages et repérages sur place, où je n’avais ni la place ni le temps d’emporter un pied pour stabiliser la caméra, encore moins de soigner mes plans surtout quand j’étais en charge de mes groupes qui passent avant tout), qu’au montage (où mon ordinateur poussif est au bord de l’asphyxie), je tenais cependant à ne pas en bâcler la charge symbolique, et j’espère que vous me pardonnerez ses défauts techniques, ses images bougées et le temps où vous avez attendu ce nouvel article .
De la même façon j’ai travaillé de longues heures sur l’arrangement musical, laissant une part significative (générique de fin) à la musique que m’avait laissé dans le but précisément d’illustrer le désert, mon fils Jean-Sébastien, quelques jours avant sa trop rapide disparition . Aussi c’est à lui que je la dédie en même temps que je vous l’offre …
Pour voir la vidéo laissez-là se télécharger entièrement avant de lancer la lecture, vous pouvez alors la lire en basse définition et plein écran si vous le souhaitez .
Mais pour l’avoir en haute définition ouvrez le lien «La musique du désert » (très peu de perte mais ADSL rapide conseillé : laisser également la vidéo se charger, pour la lire en toute fluidité), ici le plein écran prend toute sa valeur : cliquez sur le bouton « HD » (pour être en haute définition), puis sur le bouton « Full » du lecteur représenté par 4 petites flèches groupées en bas à droite du lecteur après le curseur de lecture et du volume audio . ("La musique du désert", vidéo d’Alain MARC)
De retour avec vous pour terminer ce beau voyage dans le Grand Sud Marocain, je vous emmène aujourd’hui jusqu’aux immensités de roches et de sable qui se dévoilent au voyageur se rendant aux ergs Chebbi et Lihoudi .
Vous savez combien il m’importe ici de vous offrir des moments que je souhaite de qualité, avec des articles authentiques, (même si leur teneur en est parfois modeste), des articles qui (en dehors des liens) ne soient pas constitués d’éléments « pêchés » dans d’autres sites ou blogs .
Quoi qu’il en soit, certains d’entre eux me demandent un énorme travail en amont, ils vous font alors attendre un peu leur parution (je suis loin de la cadence d‘un article par jour !), mais je suis très fier de vous « récompenser » à chaque fois pour votre patience et votre fidélité .
Plutôt que de développer dans ce nouvel article les particularités des Ergs Lihoudi et Chebbi, que d’en illustrer le propos par une peinture sur le motif ou par la reproduction d’aquarelles figuratives, j’ai préféré vous transmettre quelques réflexions inspirées par le désert de sable à propos de la peinture et du carnet de voyage en général, j’ai surtout souhaité vous mettre au contact de cette beauté à l’état pur qu’est le désert tel que je l’aime …
En repérages en 2006 avec Pierre et Yolande au sud de M’Hamid . Là, nous sommes ensablés et plutôt en mauvaise posture : si un sympathique berbère ne nous avait tiré de ce mauvais pas nous y serions encore ! … Comme quoi la peine que je me donne, (parfois des années à l’avance), pour aller préparer sur place et de façon novatrice mes stages « carnets de voyages » n’est pas toujours récompensée sur le moment . (Photo Alain MARC)
J’avais intitulé cet article « Notre conscience du réel est-elle transformée par l’art ? … ou la musique du désert ? », mais c’est le sujet du bac philo qui me fait inverser cette phrase, en guise de clin d’œil à tous les enseignants de France et de Navarre .
Nous avions pris, lors de l'avant dernier article de cette série, une journée de repos à Zagora pour nous ressourcer et peindre, l’occasion pour nous de voir comment exécuter très rapidement et de façon assez libre une petite pochade à l’aquarelle apte à mémoriser un lieu, une rencontre, un moment de notre voyage .
Dunes à perte de vue dans l’erg Lihoudi … (Photo Alain MARC)
Tout au long de ce périple, notre attention picturale s’est portée sur la réalité du monde telle que nous la percevions, en nous posant sans cesse la question de savoir comment nous devions le traduire par l’aquarelle :
- soit avec une grande fidélité descriptive (afin que ceux qui voient notre description aillent au plus près de ce que la majorité d’entre-nous perçoit, je repense au portrait d’Ahmed) - car le voyage (découverte qui nous sort du quotidien) peut déjà en soi être considéré comme un objet créatif qui « nous ouvre le regard » et que la transcription de cette réalité dans sa compréhension nécessite une fidélité au sujet formel afin de ne pas le trahir et en rapporter la vision la plus « objective » possible permettant de l’identifier ou de l’imaginer facilement en conservant dans son authenticité cette « ouverture du regard » - ,
Kaïmas du bivouac du Fort Bou Jérif automne 2006, travail descriptif . (Aquarelle Alain MARC)
Kaïmas du campement dans l’erg Lihoudi, stage Grand sud printemps 2005, (la tente caïdale blanche était notre atelier en cas de tempête de sable) . (Photo Alain MARC)
- soit avec notre liberté d’expression et notre sensibilité créative (plus conforme à notre affect, à notre perception intuitive, à notre puissance imaginative ou à nos référents culturels et artistiques), traduisant du sujet l’interprétation que nous en avons individuellement ou la lecture que nous en percevons (par exemple avec mes différentes interprétations d’Aït-Ben-Addou).
Mon attitude face à ce dilemme a toujours été soit d’en effectuer les deux approches (si l’une ne devait pas nuire à l’autre), soit de privilégier l’approche informelle et intuitive lorsqu’il est possible de la compléter par des éléments descriptifs, soit d’utiliser une expression de synthèse qui sans trop s’éloigner du formel s’affranchit de détails ou de lourdeurs inutiles afin d’être plus proche de l’atmosphère d’un lieu, du caractère d’un personnage, de l’esprit d’une scène, de l’importance d’un moment éphémère .
Aquarelles généralement synthétisées, réalisées par les participants (tes) au stage Grand Sud Maroc 2007 . (Photo Alain MARC)
On y parvient mieux dans ce dernier cas en se mettant à « l’écoute du vivant » par une attention, (déjà Ptit’Jo avait compris l’importance de cette démarche lors de sa découverte du désert au cours de son premier voyage dans le Grand Sud), un éveil de tous les instants, et une compréhension de la lumière, des formes et des couleurs où notre éducation du regard et notre réceptivité jouent un grand rôle, mais aussi par la liberté qu’on va bien vouloir s’accorder dans l’expression, dès l’instant où nous dépassons les contraintes techniques, environnementales ou conjoncturelles (celles de la rapidité d’exécution faisant partie des difficultés à maîtriser pour une plus grande force d’expression) .
S’il n’est pas très écolo, le 4 x 4 possède au moins un immense avantage pour l’aquarelliste : il permet de peindre en servant d’abri en cas de vent de sable ! (Photo Alain MARC)
Nuit tombant sur notre campement Erg Lihoudi 2005 . (Photo Alain MARC)
« Sable soulevé par le vent devant une dune » , aquarelle de synthèse . (Aquarelle Alain MARC)
Avec ce nouvel article, nous entrons aujourd’hui dans une dimension complémentaire aux précédentes, de l’expression carnettiste : l’expression informelle, qui allant à l’essence des choses par notre intériorité, n’exclut en rien la puissance évocatrice du réel sur lequel elle repose, et lui reste fidèle dans l’esprit, sublimant même sa dimension émotionnelle .
Nous rejoignons en cela le sujet de philosophie du bac 2008 « L'art transforme-t-il notre conscience du réel ? », j’ai même été étonné de voir ce sujet apparaître au moment où cet article était presque terminé alors que la vidéo ci-dessus était en cours de finalisation !
Il faut dire que le sujet est aussi passionnant qu’on soit esthète ou artiste, simple « consommateur » d’art ou créateur soi-même, quand ce n’est pas les deux à la fois !
« Dans les vagues de sable » . Aquarelle informelle .(Aquarelle Alain MARC)
« Les œuvres d’art, qu’elles soient figuratives ou abstraites, sont des créations qui se superposent aux êtres et aux choses, sans avoir la même réalité que celle qu’on attribue au monde » : certes oui si on n’en considère que l’objet, mais leur pouvoir de véhiculer une certaine dimension de cette réalité permet d’en prendre conscience de façon différente et complémentaire, en même temps qu’elles donnent au monde une existence inaccoutumée, une qualité supérieure, le métamorphosant même parfois à l’état de merveille, le rendant quoi qu’il en soit plus intelligible .
Dans les grandes dunes de Chigaga … (Photo Alain MARC)
En nous montrant que l’art nous fait prendre conscience d’une réalité supérieure à celle que nous avons l’habitude de ne plus regarder, l’évidence dans laquelle est engagé tout individu en démarche créative (aussi bien que tout voyageur - dans « démarche » il y a « marche » -), l’amène à constater (allez voir ce qu’en pensait Nietzsche) que c’est par l’art qu’on prend « conscience que la réalité est elle-même une œuvre à laquelle chacun doit participer » … Alors que dire si on est voyageur et artiste en même temps, cela, sous un aspect trivial, « nous crève les yeux » !
Notre carnet et voyage, en devenant « morceau de mémoire », rend plus réelle et intemporelle l’éphémère durée du voyage en éternisant les êtres et les choses que nous y avons rencontrés . Il rend même permanents nos souvenirs et notre propre existence à travers sa réalisation alors que nous ne sommes que poussière traversant la vie .
Peu importe sa qualité graphique ou plastique car c’est l’acte lui-même qui compte : c’est de l’acte que naît la beauté et non de la seule contemplation du monde dès l’instant où le regard s’approprie la beauté du monde pour mieux la partager ou la transcender (il y a beaucoup à dire aussi au sujet de « la beauté » - autre sujet de philo -, j’y reviendrai un autre jour) .
En croquis sur le motif avec les chameliers de l’erg Chébbi .
Ainsi, comme à travers nombre d’engagements basés sur le partage, on peut faire de sa vie une œuvre d’art .
Bien sur, si une excellente maîtrise s’ajoute à une plénitude d’expression accomplie, l’acte artistique n’en sera que plus porteur des valeurs qu’il diffuse .
Mais la première des nécessités pour comprendre l’importance de cette prise de conscience est de ne pas croire que l’art est un simple divertissement sans influence décisive sur notre conscience du monde . De ne pas croire non plus que la suffisance de notre intelligence, de nos acquis et certitudes autant de nos biens matériels peut répondre à toutes les questions de notre existence .
Être toujours à l’écoute, en éveil, toujours en aptitude d’apprentissage, avec amour pour nos semblables et humilité me parait être l’indispensable consigne de vie pour qui veut en transmettre des éléments essentiels, à plus forte raison si notre position sociale nous distingue de nos semblables par les recours ou les références qu’elle produit . Le cas du peintre voyageur n’échappe pas à cet exemple …
Se laisser absorber par la beauté des éléments, y laisser nos traces, n’est-ce pas déjà créer une œuvre éphémère qui nous englobe et dans laquelle nous sommes acteurs ? (Photo Alain MARC)
Pour qui est sensible aux milieux naturels c’est dans le désert, les forêts sauvages, en haute montagne, en haute mer, dans les profondeurs de la terre que se trouvent les réponses à ces questions .
Et le désert me direz- vous ?
- C’est en vous parlant de l’art et de notre conscience du réel que je vous ai parlé du désert .
S’il y a des mirages dans le désert, c’est parce que le réel y est différent, que notre conscience de la réalité doit y faire un apprentissage différent de la beauté .
Deux petits points dans l’océan de sable : aquarellistes lovés au creux d’une dune saisissent de bon matin les premiers rayons de soleil léchant le désert … (Photo Alain MARC)
Il n’y a rien de plus éphémère et de plus permanant qu’une dune .
Hors, non seulement les dunes se déplacent sous l’effet du vent, mais leur forme, leur couleur, évoluent sans cesse selon les conditions météo, la lumière, et la position du soleil ou de la lune …
Les dunes, ce sont un peu les nuages de la terre . Parfois dans les tempêtes de sable ils rejoignent même ceux du ciel pour aller jusqu’au cœur de l’Afrique avec le vent de l’harmattan .
C’est pour cela que je privilégie pour le désert l’expression informelle, trouvant que nulle représentation n’est assez forte pour le traduire et l’évoquer .
Petit jour sur l’Erg Chebbi : l’incroyable beauté des dunes de Merzouga . (Photo Alain MARC)
Lever de soleil dans les dunes de Chigaga … (Photo Alain MARC)
« Hamada du Drâa », la peinture informelle qui a servi de trame à la vidéo ci-dessus : encres, aquarelle et acrylique . (Technique mixte sur papier, Alain MARC)
Trouvant que seule sa musicalité est significative des beautés qu’il révèle à qui veut bien se donner la peine d’aller les chercher … Sans doute la musique et la poésie sont-elles aptes plus que la peinture à restituer l’abstraction du désert à travers les émotions et les sentiments qu’il nous procure .
Alors je préfère, moi qui ne suis pas un homme du désert, qui ne sais rien de l’adaptation à cet univers de rigueur et de beauté au quotidien, laisser la conclusion de cet article et de notre voyage pictural dans le Grand Sud Marocain à Fati, fille du désert, poète méconnue des grands espaces et des verdoyantes oasis qui nous écrit depuis le bord des rives du Drâa (confirmant en cela dans son poème de façon très simple par un constat d'amour né de son contact permanent avec le désert, que la réalité est elle-même une œuvre à laquelle chacun doit participer) :
«J’aime la magie des lumières du grand sud,
J’aime les caresses du souffle chaud, dans le climat aride,
J’aime la tendresse de l'aurore dans le désert,
J’aime la lune, dans ses apparitions les plus claires,
J’aime la majesté du soleil, qui prépare son coucher,
J’aime le rugissement du vent dans les rochers,
J’aime le déferlement des vagues contre les falaises,
J’aime ces regards troublants qui provoquent le malaise,
J’aime ce silence paisible lorsqu'il vient m'enlacer,
J’aime les étoiles aux yeux des enfants qui passaient,
J’aime les chants des oiseaux au petit matin,
J’aime ces fleurs épanouies, qui exhalent leurs parfums,
J’aime ces discussions surréalistes d'après minuit,
J’aime cette présence qui vient hanter mes nuits ! »
Lever de soleil sur l’erg Lihoudi . (Photo Alain MARC)
« Vagues de sable », peinture informelle : encres, aquarelle et acrylique . (Technique mixte sur papier, Alain MARC)