Ouarzazate, l’émergence du désert …
La vallée de l’asif Imini se prolonge presque jusqu’à Ouarzazate .
Nous traversons Amerzgane, et bien que le soleil ait beaucoup baissé à l’horizon nous tournons à gauche à une quinzaine de kilomètres avant d’arriver à Ouarzazate, à Tabouraht, direction Aït-Benhaddou pour voir les derniers rayons de soleil embraser le Ksar .
Le ksar d’Aït-Benhaddou dans toute sa splendeur, au moment où le soleil le pare d‘or et de pourpre ... (Photo Alain MARC)
C’est à cette heure tardive ou très tôt le matin que j’aime contempler les grandes constructions de pisé ocre rouge, depuis le bord de l’oued . À ces heures-là les hordes de touriste sont reparties ou ne sont pas encore arrivées . On peut savourer ces instants précieux où le vol des cigognes se prolonge dans le silence retrouvé du vieux village accroché au rocher au dessus des palmiers .
Ptit-Jo est fatigué et il ne fera pas de dessin ni d’aquarelle ce soir . Il préfère regarder les murailles et les tours de terre, se couvrir d’une somptueuse lumière dorée .
Aït-Benhaddou vu avec un peu plus de recul . Au fond : les neiges de l’Atlas accentuent encore le décor somptueux du site et du village … (Aquarelle Alain MARC)
Nous resterons ainsi contemplatifs pendant de longs instants face à ce chef-d’œuvre de l’architecture berbère traditionnelle, toujours en cours de restauration et heureusement inscrit depuis 1987 au Patrimoine mondial de l’UNESCO ….
Mais si nous voulons arriver à notre hôtel avant la nuit, il ne faut pas nous retarder .
Le sympathique petit Hôtel de la Vallée nous attend à la sortie de Ouarzazate sur la route de Zagora, rive gauche de l’oued . On peut s’y rendre sans traverser l’ancienne ville de garnison, en passant par la casbah de Tifoultoute, une route directe pleine de charme et assez peu connue . C’est l’option que nous choisissons car il se fait tard .
Nous nous arrêtons à Tifoultoute le temps de faire cette photo . La nuit va tomber dans quelques instants et le soleil bascule derrière l’horizon en inondant de carthame et de pourpre le vieux ksar et la palmeraie alentour . L’ancienne casbah parait flotter dans une irréelle lumière mauve et bleutée : nous sommes immergés tout éveillés dans un rêve des Mille et une Nuits ! (Photo Alain MARC)
Il fait déjà nuit quand nous arrivons au petit hôtel . Les citronniers embaument à l’entrée et de grands palmiers se balancent au dessus des murailles .
Déchargement des bagages, installation dans la chambre, et nous descendons rapidement à la salle à manger, aménagée sous une vaste tente caïdale . Pendant que nous mangeons, un musicien s’est installé .
Il chante et joue de vieux airs traditionnels de la vallée du Draâ, en s’accompagnant d’un banjo qui a l’air tout aussi ancien que les racines de ses mélodies . Ce sont des grihas, (appelées ici « malhoun »), sortes d’improvisations poétiques autrefois purement vocales mais qui se sont progressivement accompagnées de oûd, parfois de banjo ou de violon . Ptit-Jo, est comme nous sous le charme envoûtant de cette musique transmise oralement de génération en génération à travers les siècles . Elle est douce et nostalgique, on perçois en elle le souffle tout proche du désert autant que les grandes pentes rocheuses de l’Atlas .
Mais il ne mange plus Ptit-Jo, il écoute et il contemple fasciné . Il s’est approché du musicien en habit bleu qu'il entend entre deux morceaux lui expliquer comment tout petit son père l’avait initié à cette musique simple et essentielle dans la vie quotidienne des paysans et des villageois de la région . Comment lorsque à la mort de son père et initiateur ce musicien reprit ses instruments et ses chansons et continua de perpétuer ces mélodies imaginatives et variées pour que ne se perde pas ce pan entier de la mémoire populaire .
Ptit-Jo se souvient aussi des belles musiques que son papa avait composées pour lui, quand le ciel était aussi bleu que celui de Zagorra ...
Cet émouvant musicien se nomme Allali El HOUSSAIN, (n’oubliez jamais son nom car c’est celui d’une véritable valeur de la tradition orale), il vit à Targmite tout près de Ouarzazate . Je ne sais comment nous pourrions l’aider, mais j’aimerais que son art (car c’est ici plus d’art que de simple talent qu’il s’agit) soit reconnu, et que son respect de la musique ancestrale d’improvisation et de la poésie populaire en fassent un être de valeur, considéré et apprécié comme un élément incontournable du monde culturel marocain ... Ptit-Jo lui donne une belle obole, car il est triste de voir que ce merveilleux musicien est aujourd’hui obligé pour survivre de se produire dans des restaurants à touristes, dont beaucoup n’écoutent même pas ce qu’il est en train de chanter . Il aurait voulu qu’il continue de chanter dans les souks et les fêtes de campagne comme il avait toujours fait, ou dans les fêtes de la vie berbère et comme son père et son grand-père avant lui avaient faits … Mais les temps on bien changés depuis que les touristes sont venus faire naître le folklore dans tant de lieux où il y a si peu de temps encore vivait la musique authentique et créative puisant son inspiration aux sources du quotidien et de la ruralité .
Heureusement qu'au fond des montagnes et du désert marocain, l'âme des musiciens et des poètes populaires continue de mêler ses mélodies envoûtantes et mystérieuses à la brise légère qui se lève le soir sur les palmeraies ... Le musicien est très touché, et pour remercier Ptit-Jo et sa famille il improvise pour nous une sorte d’aubade que nous ne comprenons pas mais qui nous ramène aux valeurs simples et fortes de la vie, dans lesquelles les mots "amour" et "amitié" ont pris un sens nouveau et se sont retrouvés . C’est les yeux remplis d’étoiles et de belles mélodies débordant de son cœur que ce soir-là Ptit-Jo est monté se coucher …