S’il est un endroit en descendant sur l’Andalousie en voiture depuis le Perthus où nous aimons faire une étape, c’est bien à Peñíscola !
Situé à mi-chemin entre notre point de départ et le cœur de la grande province espagnole où nous nous rendons, ce petit village fortifié accroché à son rocher dominant la mer Méditerranée a gardé tout son charme malgré les horribles immeubles de bord de mer qui en défigurent la baie, faisant de lui une station balnéaire surfréquentée à la belle saison.
C’est donc toujours en dehors de cette période-là que nous nous y arrêtons avec Pierre NAVA qui va aujourd’hui avec les premières pages de son carnet de voyage, évoquer notre étape en Castellón.
Nous y arrivons généralement en fin d’après-midi lorsque nous ne nous sommes pas trop retardés en route…
La lumière dorée qui illumine la baie de Peñíscola lorsque nous arrivons, fait un peu oublier l’outrancière «urbanización» qui défigure la presque totalité du littoral méditerranéen espagnol …
Mais ce que note Pierre en bas de sa page de carnet est significatif, «...à partir de maintenant Pierrot il te faudra faire vite si tu veux ramener quelques aquarelles !» Il est vrai que lorsque nous partons en repérages le temps est compté, il faut aller très vite pour noter un maximum de choses, parcourir de grandes distances, explorer des lieux toujours nouveaux. (Détail de l’une des pages du carnet de Pierre NAVA «Andalousie, Sur la Route d’Alain MARC»)
Les rues blanches de la vieille cité nous donnent déjà un avant-goût des villages andalous, et on a du mal à imaginer en parcourant ses ruelles tortueuses que cette forteresse construite par les templiers au 14ème siècle est le dernier refuge de l’antipape aragonais Benoît XIII dit «pape Luna», qui s’y établit un siècle plus tard et y termina son existence face au refus de sa légitimité par les cardinaux romains et l’abandon de tous ses soutiens à la fin du schisme qui déplaçait le centre des maîtres de la chrétienté médiévale d’Avignon à Rome…
Si le soir la baie reste illuminée longtemps, la presque île où se blottissent à l’intérieur de hautes murailles les maisons blanches du village, en grande partie orientée au levant, passe vite dans l’ombre après avoir prise les couleurs du couchant, et lorsque s’allument les lampadaires, l’ancienne cité du pape Luna se pare d’ombres mauves et bleutées avant de basculer dans la nuit.
C’est le moment où nous nous installons à notre bar à tapas préféré pour y déguster autour d’un bon «vino tinto de casa», «boquerones con aceitunas», «beregenas tostadas» et autres délicieuses tortillas au chorizo, et pour y retrouver ses habituels clients, la plupart supporters des grandes équipes nationales (Barcelone, Réal Madrid, Valence, Murcie, etc.), que Pierre se régale à dessiner tant ils sont captivés par le match à la télé et ne prêtent aucune attention à nos croquis de voyage…
Ce que j’aime bien dans le travail de Pierre c’est sa manière de croquer attitudes et visages à toute vitesse, en instantanés incisifs et ressemblants, où nulle retouche, nul repentir, ne vient troubler une écriture qui en dit plus en un instant qu’un long discours sur la nature humaine…
Dans l’attente du coup d’envoi on discute de tout et de rien, et on s’offre «copitas» sur «copitas» jusqu’au moment où tous les regards se figent dans une seule direction : celle du poste de télévision !
Enfin c’est le début du match… Au bout de quelques minutes la tension est à son comble : le Réal Madrid a déjà marqué un but !
Alors là, chacun est attentif à l’extrême, et on retient son souffle, partageant de temps en temps avec son voisin ou sa voisine une impression ou un trait d’humeur à propos de son équipe préférée ou de ses adversaires car il est bien évident qu‘on ne va pas en rester à un score pareil...
Ainsi va la vie dans les tascas de Peñíscola, lorsque la nuit tombe sur la morte saison de la petite station balnéaires, et qu’il y a un important match de football à la télévision…
Le lendemain matin il est temps de repartir car près de 950 km nous attendent encore, et cette fois face à la lumière dorée du soleil levant qui illumine les fortifications de l’ancienne citée il faut que j’arrache Pierre à sa nouvelle aquarelle car nous sommes déjà en retard et c’est une grosse journée qui nous attend sur les routes d’Espagne !
La Petite histoire :
L’Andalousie comme les valeurs rares se gagne, se mérite : depuis mon enfance c’est toujours en longeant la Méditerranée en traversant l’Espagne, que j’y ai été, et c’est par cet itinéraire que j’y ai amené mon premier stage carnet de voyage !
…Très peu de voyages en avion, j’ai rarement «débarqué» directement à Séville, Grenade ou Malaga, je préfère la découverte progressive d’une culture dont la richesse se perçoit au delà d’un millier de kilomètres plus au nord, lorsque franchissant les Pyrénées les accents du pays, le soleil, les odeurs et d’infimes signes architecturaux vous projettent déjà tout éveillé dans le rêve Andalou .
Il faut que j’évoque un peu ce qui me lie depuis si longtemps à cette province et à travers elle à un superbe pays, l’Espagne :
Nous étions au lendemain de la dernière guerre mondiale. Mes parents, anciens résistants, possédaient un vignoble en gaillacois où ils accueillaient des ouvriers agricoles exilés de la guerre civile, républicains espagnols, fuyant les atrocités du franquisme.
Ceux-ci me portaient une grande affection car comme me le reprochait ma grand-mère, j’étais «toujours dans leurs pattes à les empêcher de travailler» . Je n’étais qu’un tout petit bambin mais je rêvais à travers leurs récits de leur pays que je ne connaissais pas et qui devait être si beau puis qu’ils en parlaient avec tant de passion…
C’est ainsi que j’appris les rudiments de leur langue, de leur culture, de leur histoire.
Alors que l’Espagne s’ouvrait à peine au tourisme au début des années 50, je me souviens de l’émotion qui nous étreignit mes deux sœurs et moi, au franchissement des Pyrénées pour la première fois : nous descendions vers l’Andalousie en longeant la Méditerranée, apportant aux familles des exilés bannis du franquisme des nouvelles de leurs pères, frères ou maris, en même temps qu’une partie de leur salaire…
Je me rappelle les contrôles de la Guardia Civil, de leur képi en ciré noir, de leurs motos kaki et de l’aplomb de mon père lorsqu’en leur tendant les passeports il disait «- ¡ Somos turistas, sólo hay que visitar España del Caudillo !».
Les gardes les lui rendaient avec un salut fasciste, en disant : «Bienvenidos a España y… ¡ buen viaje !», mais ils faisaient des rondes toute la nuit avec leurs motos autour de notre tente et lorsque nous nous levions le matin pour voir le soleil se lever sur la mer notre petit refuge était entouré de profondes ornières dans le sable de la plage.
Les plages étaient désertes, nous aidions les pêcheurs et leurs familles à tirer sur le rivage des filets chichement garnis d’une maigre friture et les plus grands chantiers de la «urbanización» n’étaient pas encore commencés.
Mon père peignait au passage la Méditerranée à l’aquarelle, réalisant parfois de petites huiles, il a toujours aimé les côtes espagnoles …avant qu’elles ne soient bétonnées !
Aussi, aller en Andalousie autrement qu’en descendant progressivement, en traversant les autres provinces, a toujours été une aberration pour moi : c’est comme un rite, une obligation, une nécessité !
Raison pour laquelle j’entraînais plus tard dans le sillage de ces premiers itinéraires ibériques mes proches, mes amis, mes premiers stagiaires carnettistes, puis Pierre NAVA qui venait parfois accompagner mes repérages picturaux : c’était déjà là sur les premiers arpents de terre ibérique que s'installait dans ma mémoire l’Andalousie !