Nous sommes toujours sur les hauteurs du Jura Oriental (voir l'article précédent des débuts de ce stage en cliquant ici) .
À la frontière franco-Suisse exactement . Je m'enthousiasme à faire découvrir à mes amies stagiaires quelques coins que j’adore, et qu’il me plait de vous offrir pour les rêves partagés au fond nos mémoires .
L’aquarelle en voyage lorsque vous venez peindre avec moi, est d’abord faite pour cela : découvrir des choses extraordinaires ou oubliées qui appartiennent au merveilleux, recherchées dans ma quête comme des trésors, et leur rendre leur part d’imaginaire ou d’intemporalité à travers cette expression !
Aussi, voudrais-je pour commencer vous parler d’une toute petite cabane abandonnée ... Mais pas n’importe quelle cabane : une cabane comme on n’en trouve plus, qui fera un jour partie de notre histoire au même titre que ce qu’évoquent ces cartes postales jaunies rappelant un passé dont nos grands-parents nous parlent parfois avec tendresse et nostalgie . Un passé proche pourtant, que nous sentons familier, étonnamment familier parce qu’il nous concerne aussi secrètement .
Ainsi en est-il de la guérite des douaniers qui tout près de La Fresse, sur la route allant vers la Suisse par Les Gras depuis Pontarlier, nous raconte l’histoire truculente et toujours mouvementée d’une époque où le grand jeu des gendarmes et des voleurs se jouait en lisière de forêt de part et d’autre de la frontière, entre douane et contrebande …
De combien de contrôles fut-elle témoin cette petite cabane au pied des sapins ? On n’imagine pas le paysage sans elle : la sentinelle de l’instant est parfois d’une mystérieuse beauté lorsque tombe le soir !
Même abandonnée elle n’a pas perdu son âme et les bêtes sauvages qui grimpent sur son toit laissent leurs traces, celles de la vie qui ne l’abandonne pas … (Photo Alain MARC)
Nous somme venus peindre la petite guérite à pied, sur la route qui glissait, comme les frontaliers d’autrefois, tandis qu’une fine neige tombait sur nos carnets à travers les branches de sapins .
La poésie du lieu était tout entière contenue dans la sublime empreinte du temps ancrée dans quelques planches et d’un toit moussu recouvert de neige battus par le vent … Saisir ce témoin de l’histoire, ce murmure des objets qui est plus qu’une présence dans le silence d’un sous-bois est l’un des plus précieux bonheurs du peintre voyageur .
Nous n’étions pas là pour rien : nous saisissions de ce lieu renaissant mystérieusement sous la caresse des pinceaux, les confidences imperceptibles des hommes en uniforme qui avaient pour vocation la surveillance de nos frontières .
- Que se disaient-ils quand ils étaient de garde à la guérite de la route des Gras en surveillant la chaussée et ses environs ?
Évelyne en a sa petite idée, Françoise et les autres aussi ! Pourtant elle ne paie pas de mine la petite guérite : combien d'automobilistes passent sans même l’apercevoir… (Photo Blandine BERTHET) .
Ce que l’on sait avec certitude, c’est qu’il y avait un grand nombre de petites guérites comme celle-là réparties tout au long des routes de la frontière, dans les parages, et sur certaines autres routes secondaires en fonction de la répartition des brigades qui s’échelonnaient ainsi sur des dizaines et des dizaines de kilomètres … (Carnet d’Évelyne HUYARD) .
Cette cabane sera l’occasion d’une série d’études incluant les principales façons de l’interpréter, d’abord sur le motif, ensuite en intérieur, et d’en dégager différentes atmosphères selon qu’elle se fond dans le paysage presque insignifiante dans la neige qui tombe, perdue dans la pénombre du sous-bois, ou plus présente, illuminée par le soleil . Une façon de préparer les exercices suivants où nous avons besoin de l’expérience des précédents pour personnaliser les différentes expressions liées à notre ressenti et à ce que nous évoque ce témoignage du passé . (Photo Alain MARC)
Faire passer le silence feutré qui accompagne la neige fine et continue traversant les branches de sapins, lui rendre son âme dans nos aquarelles, appartient à la chance d’un privilège, c’est presque un luxe dans le monde où nous vivons (en fait c’est peut-être cela le luxe véritable : créer des prodiges que l’argent seul ne peut acheter), c’est en tout cas un vrai bonheur que nous avons le plaisir de partager ensemble, et que vous devinerez sans aucun doute en lisant ces quelques lignes si un peu de sensibilité vous protège toujours de toutes les sortes de pauvretés nées de l’indifférence ! (Aquarelle Alain MARC)
Alors, quand vient la blanche lumière du soleil filtré par la brume avant qu’il ne projette des ombres bleutées sur la neige de la toiture et du sol, on peut ainsi par quelques couleurs de plus posées sur le papier faire chanter les grands sapins de la forêt . Gaîté soudaine de faire de la petite guérite de douanier l’objet ludique d’une belle balade qui nous replonge avec ravissement dans les joies lointaines de notre enfance, lorsque le soleil se mettait à briller sur les premières neiges de nos Noëls enchantés… Comme quoi, si on apprend à voir et à écouter ce que nous disent les êtres et les choses, avec quel plaisir peut-on les métamorphoser grâce à la magie de l’aquarelle !
Tout enfant rêvant de devenir magicien, la magie de notre démarche nous rend notre âme d’enfant, et le temps aboli nous fait tout oublier . (Aquarelle Alain MARC)
Ou même la cabane avec toute sa simplicité : dans la minuscule pièce à l’avant il y avait certainement deux chaises, une petite table qui ont disparues, le poêle indispensable en hiver (qui est toujours là sur son socle de ciment avec quelques instruments de cuisine abandonnés), et à l’arrière un petit appentis qui devait servir de chambre d’appoint avec son lit de camp pour se reposer avant de prendre la relève du copain qui montait la garde à son tour … (Aquarelle Alain MARC)
À chaque lieu son ambiance particulière : nous n’oublierons pas la grange perdue des Rochers du Cerf tout là-haut dans la splendeur de la crête frontière, où nous avons partagé de si bons moments après une randonnée dans une nature sauvage et immaculée, avant d’aller voir la Suisse et le Mont Châteleu depuis le point de vue de la ferme du papy … (Photo Alain MARC)
La grange des Rochers du Cerf . Vite faite, on se contentera du résultat ! Il gelait si fort ce jour-là, qu’il était impossible de faire des dégradés : chaque petit point de couleur sur le papier n’est rien d’autre que la trace d’un minuscule glaçon … Pourtant quel bon moment y avons-nous passé, ce bonheur-là (et les rigolades associées) on ne peut certes, jamais le connaître en été !
En général, le pinceau à réservoir conservé dans ses poches au chaud pendant la marche d’approche permet de réaliser sans trop de problèmes le ciel en première phase d’exécution . Le reste dépend très nettement de la rapidité de son travail, mais bon, à tout aquarelliste en voyage «impossible» n’est pas un mot approprié ! (Photo Blandine BERTHET)
Découvrir un lieu, des gens intéressants, vivre avec eux de bons moments de peinture, c’est s’offrir une vraie cure de jouvence, un ballon d’oxygène que peut de profanes peuvent imaginer . C’est aussi redonner du sens à sa vie, et je n’oublierai jamais ce que me disait mon père peintre, sculpteur, et que je transmets à mes enfants et petits enfants comme l’un des plus précieux enseignements qui m’aient été donnés : «… tant que tu pourras créer tu auras des raisons de vivre, et la peinture te sauvera de toutes les détresses si tu sais la partager .»
En cela, partager ce que j’aime, transmettre mon point de vue sur ma façon de pratiquer avec légèreté l’aquarelle (et la peinture en général pour ce qui est de mes travaux sur toile), marquer les différence de mes choix de pratique picturale par rapport à ce qui existe déjà, en communiquer l’approche technique, l’éthique et la philosophie en toute liberté loin des tapages médiatiques, des sélections sectaires, des inféodations intellectuelles et des affiliations de chapelles sans snobisme ni conformisme, relève d’un parcours commencé dans mon enfance (je n’avais pas encore 12 ans lorsque je réalisais mon premier carnet), et je ne me prive pas aujourd’hui de le vivre pleinement avec toutes celles et ceux qui m’accompagnent, connus (es) et inconnus (es), sur ces chemins de traverse où le mot liberté n’est jamais séparé de celui d’accomplissement …
À propos de chapelle justement, (je préfère celle-ci à celles des cercles fermés professant des doctrines artistiques discutables et s'abritant de ceux qui ont des expressions et approches différentes), nous voici à celle des Cernonniers, dans la magnifique clairière du même nom, juste sous les pistes de fond qui de Suisse en France (et vice-versa) constituent l’un des plus beaux domaines skiables nordiques de la région : nous voulons y réaliser une nouvelle aquarelle .
C’est une petite merveille cachée dans son écrin de neige et de sapins, un trésor à partager avec les gens qu’on aime et dont on sait qu’ils vont l’apprécier, le savourer, le respecter, le protéger … (Photo Alain MARC) .
Chacune a choisi l’endroit qui lui convenait le mieux pour la dessiner, la peindre, la photographier, s’en délecter en quelque sorte, avec dans la tête la sonorité de quelque liturgie traversant les siècles pour se mêler au chant des oiseaux qui fêtaient la fonte des neiges et le retour du printemps ... Le souvenir de ce radieux moment lié à la magie du lieu est si inséparable du bonheur, du sentiment privilégié d’y avoir peint, que je laisse dans le secret de nos cartons les travaux réalisés, mais sachez qu’ils étaient tous empreints de toute la beauté, la simplicité et la sérénité de cette jolie chapelle . (Photo Alain MARC) .
Mais revenons dans la combe du Thévenot : voici le travail de Catherine, totalement débutante, qui se demandait même en début de semaine si elle allait tenter l’aquarelle et plutôt ne faire que de la randonnée ! Je l’ai certes aidée comme il se doit, mais avouez que pour un résultat de fin de semaine, ce n’est vraiment pas mal .
Il faut avouer que ce coin-là possède aussi un charme fou ! Un endroit un peu comme celui de la clairière des Cernonniers, en dehors du temps, tranquille à souhait, qui a une âme, une présence, l’empreinte d’une vie traditionnelle séculaire qu’il suffit de percevoir, de saisir, et par le biais de nos aquarelles, de prendre plaisir à raconter… (Photo Alain MARC) .
Je crois que cette aquarelle-ci est de Françoise, on voit bien les effets de lumière dans les brumes de la forêt, on y retrouve toute l’atmosphère des paysages de neige, on ressent le froid piquant du matin, on devine le début d’une belle journée, on a envie de partir skis au pied avec boisson chaude dans le sac et casse-croûte pour la journée … Cette petite ferme francomtoise blottie en fond de vallée, Blandine, Roselyne et Évelyne l’avaient aussi fort bien réussie, je suis heureux encore une fois à travers cet article de toutes les féliciter : la magnifique matinée restera à jamais gravée dans leurs aquarelles car c’est aussi le charme de cette activité que de conserver intacte la mémoire des meilleurs moments partagés !
À travers les deux volets de ce reportage vous avez approché ce que les participantes, Christiane COLIN (pour la partie accueil) et moi-même, avons vécu le temps d’une parenthèse à la montagne qui ne ressemble pas à toutes les vacances de neige .
Et même si je n’ai pas évoqué toutes nos sorties, le grand nombre d’exercices réalisés sur le motif et bien au chaud, les soirées au coin du feu, les échanges chaleureux qui allaient transformer ce temps-là en valeur profonde durablement ajoutée à notre existence, (en fait une expérience autre que celle d’un simple stage d’aquarelle - mais en serait-il autrement dans n’importe lequel de mes stages et carnets de voyages ? -), je pense que la preuve de la réussite de ce genre de session n’est plus à faire, et que pour celles et ceux qui douteraient encore de tenter une telle aventure dans un futur avenir (seuls, entre amis, ou en venant me rejoindre dans l’un de mes groupes), il est des évidences qui ne trompent pas : il est tout à fait possible de peindre dans la neige et la froidure de l’hiver pour faire de chaque instant d’aquarelle une véritable fête qui vient anticiper les sorties des beaux jours .
Le dernier souvenir que je voudrais vous offrir de cette magnifique semaine, c’est l’image (qu’il suffit de cliquer pour la voir en plus grand afin de bien percevoir la notion d’espace et de liberté qu’elle évoque) de ces silhouettes traversant un champ de neige sur le chemin du retour, qui ne veulent pas que se finisse la magie quand il faut bien rentrer au dernier soir, et qui voudraient empêcher le soleil de se coucher dans la nuit bleue qui approche, inondant déjà de silence les sommets irréels du Jura Oriental … (Photo Alain MARC) . Le prochain stage aquarelle «Ambiances et paysages de neige» aura lieu en févier ou mars 2011, vous pouvez vous y préinscrire dès à présent .