Si nous étions plongés dans une délicieuse nostalgie mauresques de San Jose à Huebro, sentant souffler sur nous les effluves chaudes des rémanence atlassiennes, nous remontons aujourd’hui aux secrètes racines qui unissent
depuis plus d’un demi millénaire l’esprit mauresque à l’âme gitane.
Nous avons quitté le littoral
d’Almeria, sa plaine déroutante miroitante de serres, traversé la sierra de Alhamilla et le désert de Tabernas aux accents de western pour monter vers les hauts plateaux de terres rouges qui préfigurent la Sierra Nevada, et sommes arrivés
après 145 km de route jusqu’à Guadix.
C'est l'antique Acci, l’une des plus anciennes cités d’Espagne où une tradition place le siège épiscopal de l'un des sept évangélisateurs de la Bétique, Saint
Torquat. Devenue Wadi-Asch (Ouadi-Acci) sous les Arabes, elle fut le lieu de naissance d'Ibn Tufayl, médecin et philosophe.
C’est sans doute à Guadix l’endroit d’Andalousie (avec le quartier du Sacro Monte à Grenade) où l’empreinte qui unit l’esprit
mauresque à l’âme gitane se perçoit le mieux non seulement à travers l’architecture mais aussi l’atmosphère envoûtante qui se dégage des choses et des êtres.
C’est-ce qui frappe le plus lorsque derrière les vestiges et les traces laissées par ces deux formes de cultures andalouses à travers les siècles on perçoit les
liens qui unissent les deux, particulièrement si on se penche sur les méandres de l’histoire avant même la chute du royaume nasride en 1492, certainement plus dès cette époque là,
particulièrement à partir de la révolte morisque de Grenade en 1501 et de la guerre qui a suivie dans les Alpujarras (1568 - 1570 avec son épilogue d’expulsion des maures en 1570 ou encore celui
tout aussi terrible des gitans en 1749).
Il faut tout replacer dans son contexte et on comprend combien c’est important pour notre regard et notre esprit, quand on s’enfonce dans la ville en remontant le
quartier historique par de vielles rues tortueuses jusqu’au quartier gitan des « cuevas » .
Du Mirador de la Magdalena, dans la lumière contrastée du soir, Pierre Nava saisit l’essentiel de ce qu’il faut voir ici : le
mélange perceptible dans le paysage de deux cultures qui s’interpénètrent dans une même destinée à un moment clé de l’histoire .
Observons ses choix dans l’organisation thématique de sa mise en page (double page en fait, traitée en panoramique) : à gauche,
c’est la « alcazaba », la forteresse arabe où sont venus se replier les maures, lorsque chassés de Grenade ils ont essayé de sauver les bases arrières de leur royaume. Devant nous ce
sont les tertres d’argile d’où dépassent les cheminées chaulées des « cuevas », ces maisons troglodytiques des gitans. Derrière se devinent les sommets de la Sierra Nevada, dont le
Mulhacén nous cache l’autre versant, les Alpujarras, où se réfugiaient les deux communautés dans les temps les plus durs de la répression de la « Hermandad » avant que les survivants ne
s‘immiscent à nouveau dans la vie de Guadix : son aquarelle c’est de l’histoire condensée !
Imaginer derrière les murs chargés d’histoire, les bouleversements liés au retour des catholiques en ces royaumes et califats restés musulmans pendant un quasi
millénaire, et c’est passionnant, car des convulsions historiques qui pourraient paraître absconses, se dégage un regard encore plus bouleversant sur la perception de ce qu’est aujourd’hui Guadix
et de son symbole historique dans la connexité maures - gitans.
Les cheminées chaulées surgissant des tertres troglodytiques, puis les
sommets de la Sierra Nevada, et l’évocation du Mulhacén noyé dans les derniers rayons du soleil n’évoquent-t-il pas la fin d’une bouleversante épopée ?
Il faut lire avec les yeux du cœur dans le regard des pierres et des gens en sachant ce que nous cache l’apparence des choses lorsque tombe le soir et qu’on
contemple la ville qui rougeoie au couchant, paraissant si tranquille, depuis le mirador de la Magdalena ou celui de la Ermita Nueva.
- Comment déceler dans quelques notes de guitare montant jusqu’à nous, ou le regard tendre d’amoureux venus se retrouver ici au dessus des toits et des grottes la
vivante présence des âmes du passé qui ont modelé cette ville, bâti forteresse et cathédrale érigées devant nous, creusé les grottes où elles se sont réfugiées depuis des siècles, mêlant leur
sang et leur culture dans une obscure épopée ?
C’est cela même que doit rechercher et « dessiner » le carnettiste, ce qui doit apparaître derrière les couleurs blanches et ocres des pas de portes
fleuris qui resplendissent au pied des falaise d’argile ou du croquis des gens qui vivent là : l’âme toujours présente des sources de son accomplissement porteur du passé, et chargé d’avenir si
perceptible au présent pour qui veut regarder et écouter en peignant.
Une rue typique du quartier des Cuevas, avec ses entrées et fenêtres qui donnent
directement dans des pièces troglodytiques …
C’est-ce que nous essayons de faire autant Pierre que moi, chacun à sa manière, parfois inconsciemment, quand on s’approprie de quelques coups de crayon ou de
pinceau les pulsations intimes du vivant.
Je reviendrai dans de futurs articles sur la Guadix historique mais c’est de celle des gitans que je vous parle aujourd’hui : on leur doit le quartier qui porte
leur nom, vaste et admirable habitat disséminé s’élevant comme autant de termitières sur toute « la Hoya de Guadix » aux contreforts ouest à nord-ouest de la ville.
C’est dans la masse limono argileuse et d’argile schisteuse des buttes d’érosion et des cassures de terrain qu’ont été creusées les habitats troglodytiques
(appelées ici « cuevas ») par grand nombre de gitans (qui pour certaines générations y vivent toujours) depuis les heures sombres où assimilés à ce qui était considéré à l’époque comme
une « racaille judéo-morisque » et pourchassés de toutes parts, ils s’établissent, bannis du cœur des villes, surtout à partir de 1570 dans les faubourgs où ils creusent leurs
habitations.
Notre petit hôtel de plein pied dans la falaise, dessiné par Pierre …
La cheminée dépassant du sol à gauche est celle de la jolie salle à manger
troglodytique de l’hôtel.
Petit déjeuner dans la salle à manger :
nul sentiment de claustrophobie car l’endroit est charmant, gai, les murs sont blancs et jaunes, il n’y a pas la moindre humidité, (au contraire les murs sont très secs), il fait vraiment bon, et
on nous apporte une spécialité locale pour le petit déjeuner, de la « sobrasada » .
La Petite histoire :
C’est celle de ce quartier gitan, l’un des plus étonnants que je connaisse en Espagne : je l’ai vu renaître de ses ruines pendant des décennies, et suis heureux d’y
voir aujourd’hui des familles de plus en plus nombreuses l’habiter à nouveau, les services de la mairie et les instances culturelles d’Andalousie le réhabiliter. Je n’y ai rencontré que des
gitans sympathiques et ce fut toujours l’une de mes étapes favorites lors des stages carnets de voyages consacrée à la Route du califat en Andalousie de l’est.