Spéléologie : adorables pyrrhocorax ! (suite)
Voici la fin des pages de ce 16 décembre 2006 extraite de mon carnet de l’Aven Noir :
«16 h 15 : comme nous le faisons le plus souvent possible pour ne pas déranger les craves, nous sortons de l’Aven en plein jour, au moment où la colonie est occupée à chercher sa nourriture (petits invertébrés terrestres, insectes et larves, et parfois en cette saison graines et baies) sur les terrasses, les landes et garrigues des environs .
Jean-Louis et Josiane sont venus nous rejoindre à la sortie du gouffre pour nous prêter main forte : nous devons poursuivre notre parcours souterrain par une prospection de surface, en quête d’avens et fissures secondaires pouvant communiquer avec les réseaux de l’Aven Noir .
Le vent d’autan bien que faible s’est relevé, apportant des bouffées odorantes de buis, montant des fruticées .
À 16 h 45 nous sommes en bas des gorges du Trévezel et engageons la montée vers le parking où nous attendent les voitures, car nous avons décidé de contourner la pente pour effectuer notre recherche, afin de ne pas troubler davantage la faune locale qui même si nous ne la voyons pas, doit depuis longtemps nous avoir repérés .
C’est à ce moment-là que j’entends le cri joyeux des craves .
L’avant-garde de la petite colonie de craves à bec rouge s’est lancée dans une vertigineuse et acrobatique plongée … (Photo Alain MARC)
Ils étaient perchés en haut de l’éperon du Carla, sur la plus haute falaise en rive gauche du ravin de Long-Bédel . De cet observatoire privilégié ils dominaient tout le ravin et l’entrée de l’aven située juste à côté . Ils ont vu que nous n’étions plus à proximité de leur habitat, et, à la suite de l’oiseau dominant qui a donné le signal, ils plongent tous dans le vide en un ballet vertigineux extrêmement gracieux, en battant vigoureusement des ailes pour accélérer leur chute, et soudain se redressent face au vent en faisant pivoter leur queue, ailes déployées dont on voit les rémiges primaires largement écartées . Ils entament alors dans l’ascendance de pente une spectaculaire et tourbillonnante remontée jusqu’au dessus de l’entrée de l’Aven Noir, se déportant sur le côté de virage serré en virage serré, puis, après un extraordinaire et acrobatique looping au ras des falaises dolomitiques, ils piquent ailes resserrées tous ensemble vers la pente, pour disparaître en moins de trois secondes dans le puits du gouffre que nous ne pouvons percevoir d’ici . On dirait qu’ils se sont évanouis dans les éboulis broussailleux par un incroyable tour de magie . Je suis ébahi par autant de virtuosité, et reste longtemps les yeux rivés sur ce point du Causse Noir où ils ont disparus, leurs gracieuses et agiles acrobaties imprimées dans ma mémoire comme la plus légère des images rémanentes … »
Relevé du vol des craves à bec rouge sur le carnet de l’Aven Noir, ce 16 décembre 2006 à 17 h (Croquis Alain MARC)
Un dernier enregistrement sonore : celui de ces craves joyeux virevoltant dans les courants aériens … (Enregistrement Alain MARC)
À présent l’Aven Noir est lugubre, triste et silencieux . Espérons de tout cœur que nous connaîtrons la raison de l’hécatombe qui a dispersé leur colonie sur les éboulis stalagmitiques de la grande salle d’entrée .
Je vous ferai part des nouvelles concernant ce mystère au fur et à mesure des informations qui me parviendront, car ce n’est pas seulement parce que nous avions appris à aimer ces oiseaux attachants que nous sommes touchés, mais surtout parce que leur espèce en voie de disparition très rapide est particulièrement vulnérable .
Parmi les plus lourdes menaces qui pèsent sur eux, viennent en priorité la régression de leur nourriture : la modernisation de l’élevage dans les Grands Causses entraîne une régression de leur zone d’alimentation liée au déclin du pastoralisme traditionnel (il y a de moins en moins de pastoralisme de parcours), ce qui entraîne une modification des pâturages où les insectes accompagnant les troupeaux et dont-ils se nourrissaient, finissent par se raréfier considérablement .
Alors espérons que quelques couples de craves sont rescapés de l’hécatombe de l’Aven Noir et qu’on les verra dans nos prochaines descente au fond du gouffre reprendre possession de la territoire de prédilection …