Esprit d'humanisme .
L’expression spontanée ne serait donc qu’un outil au service du carnet de voyage …
Mais qu’est-ce qu’un carnet de voyage ?
- s’agit-il seulement d’une narration, d’un récit, d’un mémoire s’écrivant au jour le jour, en compte rendu d’évènements, d’émotions, de découvertes ?
- s’agit-il d’un exercice stylistique, d’un acte de mémoire, d’un reportage, d’un carnet intime déguisé, d’un livret de notes écrites, dessinées, assemblées en collages et autres montages d’éléments propres à ce voyage ?
- est-ce un produit de mode, une pratique sociale, culturelle, collective, personnelle, un acte autobiographique quasi narcissique, ou un outil de communication ?
- essentiellement ludique, ou élément de réflexion et d’engagement ?
- est-il statique ou dynamique ?
- facile ou exigeant ?
Autant de questions auxquelles je vais tenter de répondre, conscient que l’objectivité parfaite n’existe pas, qu’elle est forcément influencée par la subjectivité du témoignage personnel, la sensibilité et l’expérience de chacun .
Un point essentiel domine : c’est sa relation à l’espace, au temps, à autrui et au monde en général, celui qui nous englobe, celui d’où nous sommes issu, celui vers lequel nous allons …
Voici une anecdote : celle du premier « carnet » qui m’a le plus fait voyager .
Je m’en suis procuré quelques pages (hé oui, je n’avais pas les moyens de l’acheter en entier, et celui qui le vendait le découpait à la demande pages par pages, quel crime !) un matin d’été de 1969 au marché aux puces de Pézenas .
Il date du siècle des lumières (entre 1751 et 1772), est signé Diderot, Malesherbes, D’Alembert, Jaucourt, Turgot, etc., (avec la participation restreinte de Montesquieu et Voltaire, le grand Buffon n‘ayant pu rédiger le chapitre « Nature » qu’on lui demandait) .
Vous voyez de quoi je parle : de la formidable, la merveilleuse Encyclopédie qui allait insuffler un vent nouveau aux contemporains de son époque !
"Planche É peronnier" L’Encyclopédie (1762 - 1772), gravure format 28 x 45 cm, Collection Alain MARC
« Un coup d’œil sur l’objet ou sa représentation en dit plus qu’une page de discours »
« On s’est adressé aux plus habiles ouvriers de Paris et du royaume ; on s’est donné la peine d’aller dans leurs ateliers, de les interroger d’écrire sous leur dictée, de développer leurs pensées, d’en tirer des termes propres à leurs professions, d’en dresser des tables, de les définir … » Diderot, « prospectus » de l’Encyclopédie, 1750 .
« On a pris l’esquisse des machines et des outils . On n’a rien omis de ce qui pouvait les montrer distinctement aux yeux . Dans le cas où une machine mérite des détails par l’importance de son usage et par la multitude de ses parties, on a passé du simple au composé … C’est ainsi qu’on a formé successivement la machine la plus compliquée, sans aucun embarras ni pour l’esprit ni pour les yeux . » D’Alembert « Discours Préliminaire » 1751.
L'Encyclopédie : à travers son extrême diversité elle témoigne des découvertes et connaissances, s’attaque à l’intolérance, tente d’abattre les préjugés pour faire triompher la raison .
travers son extrême diversité elle témoigne des découvertes et connaissances, s’attaque à l’intolérance, tente d’abattre les préjugés pour faire triompher la raison .
Elle se veut réaliste, pratique, universelle, ouverte à un avenir déclarant sa foi dans les progrès de la civilisation, la connaissance, la richesse humaine et sa faculté d’adaptation, d’écoute, d’ouverture d’esprit, de tolérance, d’humanisme .
- Quel « carnettiste » contemporain ne voudrait-il pas être animé d’un tel esprit ?
"Ouvriers éperonniers" L’Encyclopédie (1762 - 1772), détail 20,5 x 15 cm d’une gravure format 28 x 45 cm, Collection Alain MARC
Cette planche montre des ouvriers éperonniers au travail . Elle fait partie d’un ensemble de gravures nous permettant d’assister aux différentes étapes de la fabrication des éperons . La description des opérations qui se déroulent nous plonge dans l’univers quotidien de ces artistes - artisans . Par delà le réalisme détaillé des dessins, nous ne pouvons qu’être attirés par la dignité et l’importance du rôle social de ces artisans, de leur valeur humaine et professionnelle, grâce à laquelle chacun a sa place dans la société : cela induit une réflexion d’ordre démocratique, presque révolutionnaire dans le contexte de l’époque où paraît l’Encyclopédie !
J’ai longuement voyagé dans le temps à travers les textes et les planches de l’Encyclopédie, comprenant mieux le propos des philosophes humanistes, leur rôle déterminant dans les nouvelles prises de conscience sur l’éducation, les revendications sociales et humaines, la philosophie naturaliste, la liberté et l’égalité, tout ce qui préfigurait les mouvements d’opinion qui aboutirent aux États Généraux et à la Constituante .
Mais j’ai aussi voyagé dans l ‘ « espace », allant des soieries des Cévennes aux forges de Lorraine, des moulins à vent du Nord aux foires de Provence …
Je venais de découvrir ce qui deviendra pour moi le symbole de la plus intelligente des investigations "carnettistes" : celle qui fait découvrir et comprendre le monde en le faisant évoluer dans un magnifique élan de tolérance, de liberté et d'ouverture !
Maintenant, je pars à la Biennale des Carnets de Voyages de Clermont-Ferrand où j'ai le plaisir et l'honneur d'être invité : - saurai-je m'y inscrire dans ce point de vue qui est aussi défendu par l'esprit même de cette Biennale ?