L’extraordinaire beauté de la vallée des roses ne peut laisser indifférent le voyageur se rendant de Ouarzazate à Tinerhir, lorsque passant par El Kelaâ des M’Gouna, la vallée du Dadès s’ouvre à lui dans un enchanteur panorama . (Photo Alain MARC)
Il va alors s’arrêter pour au moins une ou deux photos, et je l’invite à laisser sa voiture devant une boutique et à descendre au bord de l’oued .
Bien que très pressés par la nuit qui va bientôt tomber nous nous y arrêtons le temps d’une brève aquarelle pour les plus rapides, pour quelques clichés pour les moins expérimentés .
Ici plus qu’ailleurs, la vie qui grouille au bord de la rivière invite au voyage dans sa projection vers les sources du cours d’eau ou au-delà de ses rives, vers les kasbah qui en dominent les falaises et les montagnes lointaines qui bouchent l’horizon . Le tout sur fond d’Atlas rose et bleuté comme dans un rêve orientaliste .
Le temps d’ajuster nos appareils photographiques, Yolande en est déjà à la fin de son premier panorama du site … Elle en réalise deux, lors de notre petite halte, saisissant au vol pendant ces quelques minutes d’intemporalité, la magnificence des couleurs du soir . (Aquarelle Yolande GERDIL )
Ce qui frappe le visiteur c’est cette harmonie de couleurs et de formes où rien ne dérange, rien ne choque comme si la vie des hommes et leur architecture restait en parfaite symbiose avec celle de la nature . (Photo Alain MARC)
Tandis que montent de la vallée des bruits de rires d’enfants et de braiements d’ânes, un groupe d’aigrettes passe au dessus de nos têtes et va se poser sur le bord de l’eau . On devine dans les jardins une intense activité, et le bleu du ciel capturé par le Dadès est remplacé au couchant par de flamboyants roses dorés, qui immergent le paysage tandis que s’étirent à l’infini des ombres turquoises, marines et campanules . (Photo Alain MARC)
Les roses justement : elles embaument à partir du mois d’avril les oliveraies et les jardins qu’elles séparent en petites haies épaisses et basses, si pratiques pour en cueillir les fleurs le moment venu . Nous sommes ici au cœur de la production de la rose du Maroc : rose à parfum, fragile et douce, traitée en grande partie sur place, ou séchée pour être exportée et vendue en l’état . Un grand « Moussem de la rose » clôture le ramassage par une belle fête le deuxième week-end du mois de mai .
Ce qui est traité sur place vous sera proposé sous forme d’eau de rose sur le bord de la route dans l’une des nombreuses boutiques, parfumeries et distilleries de la région .
Cela me rappelle une anecdote qui nous a bien amusés : lors d’un stage, il y a déjà de nombreuses années, une d’entre-nous avait acheté l’un de ces précieux flacons de verre contenant le liquide parfumé, et l’avait déposé dans son sac d’aquarelle, au milieu des pinceaux et de la palette, contre son carnet . Nous étions à cette époque-là en car (un véritable voyage d’aquarellistes « organisés » !) et rentrions tranquillement vers notre hôtel après une journée de peinture bien remplie, quand dans un virage son sac est tombé et le fragile flacon s’est brisé . Ramassage immédiat des débris, tentatives d’épongeage avec tout ce que nous pouvions trouver, enlèvement catastrophique du carnet de voyage mais trop tard il était tout imbibé, c’est le cas de dire que nous sentions tous la rose ce soir-là !
Quelques jours passent, le stage se termine et nous sommes sur la route, dans le bus rentrant à Ouarzazate, car le lendemain c’était « synthèse » (ou débriefing comme vous voulez), et départ le soir avec les avions pour retourner chez nous à regrets . Dans ces cas-là avant la grande synthèse du lendemain, on revit cent fois le stage, on se passe nos carnets, chacun curieux du résultat final de l’autre et de l’avis des autres sur son propre carnet …
C’est alors que notre amie (l’infortunée transporteuse de flacons parfumés), inquiète de ne pas avoir l’avis de son voisin qui feuillette son carnet de voyage en hochant la tête sans mot dire et l’air un peu blasé, lui demande avec insistance de se prononcer .
Et l’autre tout de go à rétorquer : « - Un roman à l’eau de rose, voilà ce que c’est ! »
Au fur et à mesure où on avance dans la vallée, le paysage change et s’enrichit sans cesse de nouvelles perspectives colorées . C’est à cette heure-là qu’il est le plus judicieux de peindre ces panoramas dont on ne peut imaginer combien les verts y sont différents tant sont riches les jardins et les vergers : figuiers, pommiers, abricotiers, poiriers, figuiers, pêchers, amandiers, cognassiers et même ceps de vignes rajoutent leurs nuances à tous les arbres « sauvages » qui poussent tout le long du Dadès, et qui s’étagent en frondaisons nuancées créant la plus magique des palettes à ces heures précieuses de la journée . (Photo Alain MARC )
Il est évident qu’il faut alors travailler vite, sans omettre les roses et mauves de la neige des sommets . … (Aquarelle Alain MARC )
J’ai ajouté aux images de notre voyage en cours, quelques autres images d’archives tournées pendant un moment magique vécu dans le chef-lieu de l’endroit (El Kelaâ des M’Gouna) il y a déjà une douzaine d’années . Moment intense et merveilleux au milieu d’un groupe de danseurs et de leurs « ahidous », partagé avec les stagiaires, duquel il me reste 3 ou 4 pages de carnet, mais dont ma mémoire ne se défera jamais : il y a là-bas un part de moi-même qui y est restée ! (Vidéo Alain MARC que vous pouvez revoir différemment dans un autre clip mis ici en ligne lors d‘un article précédent)
L’une de ces pages de mon carnet : quatre très belles danseuses sont en train de m’observer tandis que je les dessinais . L’un des musiciens du groupe, un verre
de thé à la main s’était rapproché … (Aquarelle Alain MARC )
L'ahidous :
« Danse accompagnée de chant, l'ahidous n'est pas seulement le divertissement préféré des Amazighs (du Maroc central), c'est surtout leur moyen d'expression le plus complet et le plus
vivant. On le danse à l'occasion des moindres fêtes et même, l'été, après la moisson, presque tous les soirs dans les villages.
Les danseurs se mettent en cercle, en demi-cercle, ou sur deux rangs se faisant face, hommes seuls, femmes seules, ou, hommes et femmes alternés, étroitement serrés, épaule contre épaule, ils
forment bloc. La danse est rythmée au tambourin et par des battements de mains. Les mouvements sont collectifs ; c'est un piétinement, un tremblement qui se propage, entrecoupé d'ondulations
larges, coups de vent sur les blés. Par leur aisance et leur ensemble, ils témoignent d'un sens du rythme remarquable. Toutefois, tous faisant presque toujours le même geste en même temps, c'est
surtout un ensemble de juxtaposition que l'ahidous présente. En ce sens, il est très caractéristique de la mentalité des Amazighs. L'ahwach dansé par les Chleuhs de l'Atlas occidental est déjà
fort différent.
Le sens mystique de la danse ne se dégage pas nettement de l'ahidous, sauf peut-être de certaines formes spéciales comme l'« ahidous n tislit » dansé chez les Aït Hadiddou au moment où la mariée arrive à la maison de son mari : le chant qui l'accompagne est une véritable incantation ; on l'appelle d'ailleurs « lfal » (le sort).
Dans l'ahidous ordinaire, le chant s'appelle « izli » (plur. izlan). C'est un poème d'une extrême concision, en général deux versets qui se répondent. Il est lancé par le meneur de la danse sur un air qui varie selon les tribus, puis repris par les danseurs qui longuement le psalmodient, répètent plusieurs fois chaque phrase. L'« izli » est souvent improvisé et l'ahidous peut être l'occasion de joutes poétiques.
Poésie purement orale, jaillie de la vie même de la tribu, les « izlan » sont familiers à tous. On les chante, on les cite fréquemment, les meilleurs franchissent les limites du groupe, certains passent en proverbe. Les sujets sont ceux de toute poésie populaire, mais avec une tendance marquée vers la satire. Les hommes et les événements y tiennent donc une très grande place; dans l'Atlas central, être la risée des gens se dit « être l'izli du monde ».
D'après Maroc central de J. Robichez, éd. Arthaud, 1946