Spéléologie : aquarelle directe annotée, au fond de l'Aven Noir .
Revenons à l’Aven Noir .
Vous savez combien ce gouffre me captive en ce moment, et le privilège que j’ai eu de pouvoir y accéder pour y réaliser un certain nombre de croquis et d’aquarelles me comble d’une grande joie qu’avec ses explorateurs je vous fais partager .
Nous voici dans la galerie de « la Laponie », ainsi baptisée par son découvreur parce qu’elle ressemble à un paysage nordique hivernal où le sol, les parois et la voûte sont constellés de cristaux étincelants, de calcite blanche, de concrétions d’une grande pureté . On dirait qu’une tempête de neige est passée par là, se figeant à tout jamais sur la roche, créant des arborescences et des fleurs minérales d’une incroyable variété et d’une grande finesse … (Photo Alain MARC)
Les difficultés de cheminement à l’intérieur de la cavité, les conditions complexes de travail (dans une hygrométrie autour de 90 %, une température jamais supérieure à 10 ou 12°, la chute permanente de gouttes d’eau), l’impossibilité de s’installer confortablement autant que celle de disposer de temps pour peindre (afin de se « caler » - surtout pour des raisons de sécurité - dans le timing de ses coéquipiers) ne me permettaient pas de réaliser des aquarelles abouties, mais plutôt des petits travaux faciles à exécuter résumant bien tout ce que j’avais vu et vécu .
Je me suis donc rabattu sur la panoplie offerte par ces captivantes techniques que sont les prises de notes .
En ce qui concerne ces procédés, j'ai donc choisi l'aquarelle directe avec annotations pour mémoriser le lieu où je me trouvais à cause de son rendu immédiat et de sa simplicité d'exécution (lorsque le sujet s'y prête naturellement, et c'était le cas ici) . D’autres variantes existent dont je vous reparlerai plus tard .
J’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de vous présenter l’une de ces approches dans un article consacré à ma série sur l’arganier, en réponse à un intéressant commentaire écrit sous l’article qui le précédait . Il s’agissait de la mise en pratique du croquis avec annotions écrites .
Aujourd’hui, nous allons voir combien l’aquarelle directe annotée (sans dessin préalable) est utile pour comprendre le rôle des couleurs dans la mise en valeur du sujet, en l’occurrence ici leur correspondance aux différents éléments géologiques et minéralogiques . De plus, elle développe l'éducation du regard dans l'association des formes aux couleurs, ce qui est un bon entraînement pour une approche coloriste du monde qui nous entoure ...
Il faut lorsqu’on s’engage dans un projet qui doit mettre en œuvre ce genre de prises de notes être le plus « opérationnel » possible : le kit doit être prêt bien avant la descente dans l’aven, avec un rangement adapté où on ne perdra pas une minute en l’ouvrant ni en dégageant et en replaçant chaque élément des pochettes étanches . (Photo Jean-louis GALERA)
Pour travailler c’est assez simple : il faut commencer par la préparation sur la palette des couleurs dominantes (d’abord les plus claires), en faire ni trop peu ni trop, (il vaut tout de même mieux en faire plus que de nécessité), et mettre directement en place sur le papier ces couleurs claires, même si on est un peu « approximatif » pour leur emplacement . C’est ensuite seulement (au fur et à mesure où on avance son motif), que les couleurs les plus sombres vont par contraste de valeurs affirmer les formes, donner les volumes et établir la profondeur . Il faut toujours travailler « en quinconces », afin de laisser sécher les zones humides (si on ne veut pas qu’une couleur différente juxtaposée s’y mélange), pendant qu'un peu plus loin on travaille sur une zone sèche . On peut aussi « dessiner au pinceau » si l’élément traité le permet .
Éléments à avoir en tête lorsqu’on prépare la veille du travail son kit, et qu’on remplit les pochettes étanches (ceci est valable pour toute préparation de sac impliquant des prises de notes en « peinture - reportage ») :
- la nature du papier (assez fin ou satiné pour pouvoir aussi bien dessiner dessus avec une pointe feutre fine qu’y peindre), son format (facile à ranger et à manipuler, pas trop petit mais adapté à la dimension des kits, etc.), la rigidité de la couverture (car on va tout tenir d‘une seule main),
- la fonctionnalité de la palette (elle doit être la plus petite et efficace possible (ici une palette pliable de voyage Windsor et Newton avec réservoir d’eau),
- la fonctionnalité des outils annexes (2 pinceaux réservoir plastiques bien remplis d’eau, aux pointes de différentes formes et dimensions qui ne soient surtout pas usées + 2 crayons ou porte-mines 2B - avec gomme blanche éventuellement - + stylos feutres pointes fines ou à billes de différentes couleurs et largeur de trait dont un blanc couvrant, etc.)
- la disposition de rangement qui doit permettre de passer d’un outil à l’autre sans la moindre gêne ni perte de temps .
- la légèreté du matériel qui devient lourd lorsqu’on ajoute tout !
Attention, ne pas trop en faire (d’ailleurs on n’a pas le temps) ! Ne pas trop en faire c’est aussi pouvoir disposer des zones les plus claires du papier (ou blanches), pour écrire les notes descriptives, car c’est là qu’apparaît tout l’intérêt de l’aquarelle directe annotée . Une fois le motif terminé côté couleurs, il faut sans arrêt se poser la question : « - c’est quoi cette couleur ? - et celle-ci, elle correspond à quoi ? - et cet objet, qu’est ce que c’est ? » .
Car ce n’est pas une fois que vous serez revenus chez vous que vous vous souviendrez de la nature des éléments qui vont faire la valeur descriptive de votre carnet par rapport à ce type de travail !
De plus, lorsqu’on est entouré par les personnes aptes à répondre à ces questions, on note immédiatement et même si sur le moment on croit que c’est superflu, il ne faut jamais oublier que cela pourra toujours servir …
Bien que la position soit inconfortable, il ne faut pas hésiter lorsque cela est nécessaire à travailler à genoux ou debout car on ne peut pas toujours s’asseoir, ici c’était « le luxe » avec le chemin de plastique noir déposé par mes amis ! (Photo Jean-louis GALERA)
Dans les prochains articles, nous verrons d’autres façons de procéder, nous verrons surtout à quoi cela peut servir car tous ces travaux se révèlent très utiles non seulement pour ramener des petits souvenirs « anecdotiques », prendre des notes d’informations (descriptives et de documentation), mais aussi pour réaliser des travaux ultérieurs d’atelier ou complémentaires au travail de terrain dans le cadre d’approfondissement et de finalisation d’un carnet de voyage .
N’oubliez jamais puisque nous avons cette possibilité à notre époque de « doubler » toutes vos prises de notes sur le motif par quelques photos (si on relit son courrier avec attention, on peut penser que Delacroix se serait certainement servi de ce formidable outil en plus de ses notes et croquis s’il l’avait eu à sa disposition, tant il était soucieux du détail … ), qui même si elles ne remplaceront jamais le travail réalisé sur le motif, permettront de le « resituer » dans son contexte une fois revenu à l’atelier .
Je précise pour terminer cet article que la meilleure solution pour obtenir un travail vivant et spontané c’est justement de peindre sur le motif car c’est de cette façon-là qu’on trouvera un juste équilibre entre expression et fidélité au sujet, autant que se révèlera la « vie interne » de l’aquarelle dans sa globalité .
Par contre si on veut avoir des « notes » pour réaliser une illustration fidèle et descriptive ou au contraire se lancer dans une peinture très créative et libre ultérieurement, l’usage des travaux réunis en prises de notes se révèle de la plus précieuse utilité .
Galerie de « la Laponie » à l’Aven Noir, prise de notes pour un futur travail descriptif ou illustratif . (Aquarelle directe annotée, Alain MARC)