Si l’on considère l’origine étymologique du mot « sculpture » qui vient du latin « sculpere », on pense aussitôt au dépouillement du bloc initial (de pierre, de glaise), pour laisser paraître ce qui, d’ébauche va devenir œuvre, matière transmutée sous les mains et par la pensée de l’artiste, pour prendre corps, et par la forme, le volume, l’occupation de l’espace, s’animer de la puissance invisible de sa propre vie, défiant le temps en survivant à son créateur.
C’est comme si l’esprit de son identité particulière, qu’elle soit de bois, d’albâtre, de marbre, d’acier, de verre, ou de tout autre matériau, la projetait dans l’intemporalité d’une existence en apparence figée, mais pourtant si vivante par l’émotion qu’elle provoque chez celle ou celui qui « voit » en elle le mystère envoûtant que le sculpteur a su lui insuffler.
- Alors, essayer de définir ce qui se cache derrière la beauté sublimée de la matière, n’est-ce pas percevoir déjà ce que l’on pourrait considérer comme le reflet d’une âme ?
C’est ainsi que je ne peux détacher de ma pensée les œuvres occupant l’espace de ma mémoire, comme celles qui frappèrent mon enfance, telle la « Victoire de Samothrace » en haut de son grand escalier, ou « la Vénus de Milo », que je découvrais accompagné par mon père au Musée du Louvre, ou bien plus tard, lorsque je pris conscience de l’héritage qu’il nous léguait à travers son propre univers fait de fer et du feu de sa forge, lorsqu’il donnait à ses personnages toute l’humanité qui allait en son temps porter son message très loin du petit village où il vivait.
Depuis ces instants précieux, au cœur même de la nature, lorsque celle-ci nous offre quelque racine décharnée, une roche remarquable modelée par les millénaires et les intempéries, un arbre tourmenté à la forme singulière, un bois flotté poli par les vagues sur les galets, je ne peux m’empêcher d’établir un parallèle entre l’étonnante beauté de la nature dont un élément s’empare de l’espace comme une sculpture, et l’œuvre née des mains d’un artiste génial, sous ses coups de marteau, l’emprise du burin, sa persévérance, son talent et ses ciseaux...
Car ce qui les réunit, par-delà leurs si différentes sources, c’est la puissance de la vie et le mystère de la création : l’une naturelle, fruit du hasard et de l’écoulement du temps qui a modelé ses éléments sans une conscience particulière qui nous soit perceptible, l’autre née de la réflexion, de la volonté, et de la virtuosité humaine, fruit du génie d’un être conscient de son propre amoindrissement, nous livrant une œuvre apte à prolonger sa pensée et à l’éterniser dans la matière qu’il a transformée.
Cette dernière forme de création se distinguant de celles livrées par la nature à cause de son fondement spécifiquement humain (que l’on perçoive ou non la présence d’une âme en ses réalisations), c’est la force de la pensée d’un artiste qui en est l’origine, qui donne tout son sens à la beauté des œuvres d’art !
Ce pourrait être une sculpture née de l’imagination débordante de quelque créateur contemporain, mais ce sont des concrétions d’aragonite blanche de la rivière souterraine de Malaval, qui dorment au fond de cette magnifique grotte depuis la nuit des temps (avec l’aimable autorisation du propriétaire de la cavité).