Je n’avais pas cinq ans, mon père m’apprenait à observer, à écouter, à traduire ce que je voyais, ce que je ressentais, en essayant de comprendre ce qu’il définissait comme une vérité : celle qui se cache sous l’apparence des choses, et que la correspondance du dessin à son caractère le plus marqué, allait révéler à ceux qui le verraient .
Revenons à cette rentrée : en ce temps-là les niveaux étaient mêlés, et on « occupait » les plus petits pendant que les grands apprenaient .
Je fus donc assigné à partager une table avec mes nouveaux petits camarades de rentrée .
"Le départ dans la vie" Alain MARC, aquarelle 9 x 12 cm, années 60 / 70
Ce départ, comme je l'imaginais idyllique ! J’ignorais qu’un arc-en-ciel n’est pas toujours synonyme de beau temps …
La maîtresse distribua crayons de couleurs et cahiers et dit : attendez, je m’occupe des grands et nous allons colorier des canards, des poules et des lapins …
Voulant « bien faire », je me lançais aussitôt dans une grande fresque de poules, de lapins et de canards, remplissant la page du début du cahier avec tout ce que je connaissais des races animales que nous avions à la maison, jouant sur les différences anatomiques, choisissant des poses et des formats variés .
Quand la maîtresse revint auprès de nous, elle portait dans ses mains des tampons de caoutchouc et un magnifique support encreur . Il y avait le tampon de la poule, du lapin et du canard . Elle « tamponna » les cahiers des élèves avant moi, et lorsqu’elle arriva à ma hauteur entra dans une colère effroyable, me traitant d’indiscipliné, de séditieux, d’inepte à l’éducation .
Elle s’empara du cahier dont elle arracha la page qu’elle déchira aussitôt …
Je revins à la maison en larmes, n’osant montrer à mon père cette basse-cour calibrée aux contours d’encre bleue, que je trouvais hideuse et sans vie, sans caractère, sans âme, et dont franchement j’avais honte . Je ne comprenais pas comment un adulte en qui on devait avoir totalement confiance pouvait imposer des images aussi fades, laides, et stéréotypées .
Je venais d’apprendre ma première leçon d’approche globale : traduire le monde tel qu’on le voit n’est pas suffisant pour en traduire la réalité, l’authenticité, et en permettre la compréhension !
"Les caprices du vent" Alain MARC, aquarelle 9 x 12 cm, années 60 / 70
Il a fallu ensuite composer avec le vent …