Fulgurances de l’instant sur la trace des peintres de la lumière .
Un nouveau stage d’automne se termine au pays de Cézanne, Van Gogh, Gauguin, Brayer, Picasso … Et de combien d’autres qui ont parcouru ces contrées du soleil et du vent aux terres écarlates et pourpre, aux roches éclatantes comme la neige, des couleurs plein les yeux, plein le cœur à faire déborder le Rhône de larmes de bonheur ?
Je ne cesse de respirer la Provence, « ma » Provence devrais-je dire tant je la porte en moi comme un accomplissant secret .
Je retrouve dans ses chemins creux, sur ses sentiers et ses rocailles les mots d’un Matisse inspiré qui disait : « La lumière spirituelle naît de toutes les lumières absorbées » .
J’arpente les Alpilles et la Sainte Victoire en quête d’images empreintes de romantisme et de mélancolie, où la blanche roche du calcaire émerge de sa chevelure de pins dont les cimes blondes, ensoleillées, recouvrent le sous-bois pour mieux y cacher la mémoire des poètes et des peintres … J’y retrouve une muse qui ne m’a jamais abandonné . (Photo Alain MARC)
Je voudrais faire découvrir cela à mes stagiaires . Mais cela ne s’explique pas, ne se raconte pas, ne se dit pas . À peine peut-on essayer d’en transmettre l’évanescente perception, d’en partager la bouleversante intuition …
Cela se fait dans les fulgurances du regard, au premier ressenti des émotions nées de la simple et profonde immersion dans les chatoyantes vibrations du paysage méditerranéen .
Dans la lumière verte et bleue des oliviers, l’automne au pied du Luberon . Chacun peint sa Provence : celle qu’il découvre, celle qu’il portera pour toujours au fond de sa mémoire . Les séances s’enchaînent .
Les touches d’aquarelle sont toutes parfumées de lavande et de thym, de sarriette et de romarin . On ne peint pas ce que l’on voit mais ce que l’on devient à travers ce que l’on peint . On apprend plus que la technique dans certains stages d’aquarelle … (Photo Alain MARC)
Alors, peindre n’est plus peindre, voir n’est plus seulement regarder, ressentir est déjà exprimer et il faut aller vite, très vite, avant que le temps ne puisse nous rattraper si on veut lui échapper et prolonger l’instant dans un espace d’éternité qui restera à tout jamais gravé sur un petit bout de papier .
« Les Alpilles en Automne » (aquarelle d’Alain MARC 50 x 65 cm) . J’avais rapidement peint ce paysage à l’endroit même où Brayer avait peint son « Amandier aux Baux » . À grands coups de brosse, pour ne pas laisser évanouir mon émotion du premier instant . La nature flamboyait . Il faisait un peu de mistral . Le propriétaire du champ en dessous, avait coupé d’un coup de tronçonneuse les amandiers de Brayer . Mais les amandiers existeront pour toujours avec deux ou trois fleurs printanières au bout des branches décharnées …
En Luberon, les terres ocres de Roussillon, et le village qui garde encore sa couleur de braise et d’écorce d’orange une fois la nuit tombée, on bercés mes nuits . J’ai cru entendre Van Gogh qui me parlait de la mer et me disait : « …on ne sait pas toujours si c'est vert ou violet, on ne sait pas toujours si c'est bleu car la seconde d'après, le reflet changeant a pris une teinte rose ou grise » .
J’ai attendu le lendemain afin de voir le soleil se coucher et s’insinuer dans les ravines pour s’incarner dans les roches et jouer lui aussi le peintre des derniers instants de la journée … Il a ensuite embrasé l’espace en inondant nos yeux d’amour avec tout ce qu’il n’avait pas déposé sur les rochers .
Car il n’est point de regard faisant évoluer notre art qui ne passe par un sentiment d’amour lorsque la nature s’en mêle . On comprend mieux en regardant les terres ocres de Roussillon se parer des teintes du couchant combien toutes les nuances de la lumière se sont ainsi posées sur les pinceaux des plus grands peintres, servant aussi bien l'impressionnisme que le fauvisme, inspirant toujours le moindre amateur de couleurs … (Photo Alain MARC)
Cette problématique de la lumière qui passe vite, qui change sans arrêt, et puis qui disparaît, est au cœur même de la peinture à l’aquarelle : c’est la lumière qui lui dit que le temps est compté si du motif on ne veut être prisonnier mais au contraire par elle se libérer .
C’est ce que je nomme la « fulgurance de l’instant » : bien observer, aller à l’essentiel oublier les formes pour ne plus faire corps qu’avec l’ombre et la clarté . S’en abreuver et poser les couleurs … Peu importe que le produit qui en naît soit synthétique ou abstrait . Au contraire, quelques taches sont suffisantes pour traduire plus et mieux que la beauté du monde : son essence de vérité, sa présence révélée à notre conscience dans sa pureté .
Ici, le soleil pare d’or et d’éclats cendrés les reliefs de la falaise au dessus du sentier, dans le parc derrière l’atelier . Impossibilité de céder à la tentation figurative tant la nature sait faire abstrait ! (Aquarelle d’Alain MARC 22 x 31 cm)
Savoir se positionner par rapport à la lumière est aussi une nécessité .
Si je choisis très souvent le contre-jour, c’est qu’il apporte la transparence à la luminosité, en accentuant les contrastes, les rendant plus profonds dans les parties bouchées . Les ombres sont alors magiques dans leurs radiations bleutées . Il faut attendre les heures tardives, ou bien vouloir très tôt se lever pour bien en percevoir les nuances et pouvoir les noter .
C’est le jardin d’automne de la marchande de fleurs du village de Vaugines, le soir à contre-jour . Observez . Regardez comme cet ensemble est abstrait . Fermez presque les paupières, laissez le flou entre vos cils resserrés : on retrouve dans le fond des frondaisons de la forêt (mais en bien plus sourd, à peine rabattu), le bleu cobalt des fleurs du premier plan avec un soupçon du rose mauve de celles du second plan mélangés . - C’est que la lumière reprend à son compte les mélanges chromatiques des couleurs naturelles isolées si on sait convenablement par rapport à elle se placer . Jamais en éclairage frontal ou même latéral nous ne percevrions ces subtilités ! (Photo Alain MARC)
Je ne cite guère les lieux où nous avons été . Ils étaient tous enchanteurs dès l’instant où nous savions comment les regarder . C’était comme un carnet de voyage où le nom des étapes était sans importance puisque la lumière nous guidait . Un voyage au rythme des saveurs du regard qui nourrissent notre pensée … Je crois que le passage par la Provence est un passage obligé pour un artiste qui veut avancer . Et je ne parle pas seulement des paysagistes, des figuratifs, ou autres peintres de chevalet . Abstraits, informels, ou même conceptuels peuvent ici se ressourcer .
En ce qui nous concerne nous étions là pour l’aquarelle et ses modestes nécessités ; mais j’ai souvent trouvé sous le ciel de Provence les idées de grandes toiles relevant d’une autre forme de peinture sur laquelle j’aime me pencher mais dont je vous ai bien peu parlé …
Un jour peut-être … En attendant ces « Arbres en Luberon » très rapidement réalisés ne sont que des taches, mais ils restent pour moi le reflet d’une émotion et d’un moment privilégié qui n’a duré qu’un instant . Je les garde pour très longtemps ainsi posés sur le papier ... (Aquarelle d’Alain MARC 22 x 31 cm)
Encore des taches : c’est la plaine au pied des Baux-de-Provence … (Aquarelle d’Alain MARC 15 x 15 cm)