«La danse des ahwachs» . (Aquarelle Alain MARC extraite du « Carnet du grand sud » )
C’était pendant l'un de nos stages «Carnet de voyage dans le Grand Sud Marocain», le mardi 20 mars 2001 .
Nous avions quitté Ouarzazate de bonne heure le matin et remontions la vallée du Dadès .
Le soleil illuminait les palmeraies et le paysage alentour . Vers le nord tout au long du trajet, les sommets de l’Atlas dominaient le paysage, immense et merveilleux décor éclatant d’une blancheur hivernale qui contrastait avec les chaudes couleurs du désert .
Sur la route d’El-Kelaâ nous avions fait une halte picturale dans l’oasis d’Amerhidil tout près de Skoura, pour y peindre le ksar, magnifique, et une petite koubba que j’adore, cachée au milieu des palmiers . L’oasis était si fraîche et verdoyante à ce moment-là !
Nous y avions rencontré Mansour qui nous avait régalé de son thé bien chaud et avait posé assis à même le sol à l’ombre des palmes, improvisant pour nous avec sa flûte à encoche des airs inspirés d’anciennes romances amazighs pendant que nous le dessinions . Je vous reparlerai une autre fois de ce moment privilégié qui reste gravé dans nos mémoires et sur les pages de nos carnets …
Mais c’est la Vallée des Roses et notre arrivée à El-Kelaâ-de-M’Gouna que je vais évoquer ici .
Nous avions déjà la tête débordante des souvenirs tout proches de la journée . Le soleil déclinait vers l’horizon .
À l’Hôtel des Roses du Dadès, la terrasse panoramique domine la vallée et c’est le lieu idéal pour peindre le spectacle grandiose du soleil qui se couche sur les sommets du Haut Atlas avant que tombe la nuit . On entend des chants et des appels qui montent du Dadès, le premier plongé dans la pénombre .
La neige sur les crêtes encore ensoleillées flamboie à son tour, se parant du rose des fleurs de la vallée . Splendeur inouïe, fragile et éphémère .
C’est un moment magique qu’on ne peut oublier .
Les stagiaires de la session "Carnet de voyage dans le Grand Sud Marocain" en plein travail, face à la superbe vallée du Dadès et à ses kasbas, naissance d'aquarelles inoubliables ! (Photo Alain MARC)
Maintenant il n’y a plus que le silence . On perçoit à cet instant la présence invisible de toutes ces tribus, descendantes séculaires de royaumes parfois éphémères, perpétuant la tradition des valeurs ancestrales dont nous avons quant à nous perdu trop tôt le patrimoine de vie et le sens du sacré .
C’est à ce moment-là que dans une étrange apparition nous fûmes entourés d’une troupe de musiciens et de danseuses aux costumes simples mais d’une grande beauté . Ils étaient descendus de la montagne pour honorer à l’hôtel une personnalité .
Pour nous, rien n’était organisé . Ils nous avaient vu peindre, travailler, et l’intérêt que nous portions à leur pays, le regard que nous avions sur leurs sommets, les rendirent immédiatement familiers, intéressés . Leur jovialité teintée d’une curiosité naïve et enjouée nous plongeait dans l’allégresse et le ravissement . Nous ne nous comprenions pas mais la complicité des regards, les mots timidement échangés sur les couleurs, les objets, le partage de l’instant, avaient effectivement quelque chose de sacré . On était comme plongés dans un mystère, nous nous sentions être les témoins d’une naissante théurgie, d’un envoûtement imperceptible et délicieux comme si nous étions penchés au dessus d’un balcon surplombant de vertigineux et féeriques liens secrets .
La dimension théurgique est verticale, elle n'est pas à sens unique . Le juste milieu théurgique est ce lieu où l'homme et le Destin coopèrent, cocréent, collaborent . Le Destin appelle, l'homme répond . L'homme appelle, le Destin l'entend . Ce juste milieu est un lieu performatif .
- Et si le carnet de voyage c’était cela ?
J’ai pris mes crayons et ai commencé à les dessiner . Ils ont pris leurs instruments et ont commencé à danser .
Les femmes étaient très belles .
Les hommes l’étaient tout autant …
Nous étions dans un monde à part .
Je vous invite à ce moment de peinture privilégié, qui des ahidous jusqu’au cœur des ahwachs nous a plongés au rythme des bendirs et de l’étonnante sonorité des voix de ces femmes et de ces hommes qui se répondaient en cadence (appelé l'msaq) dans un moment de transe où peinture et musique ne faisaient plus qu’un .
Explication donnée par le passionnant site de musique amazighe http://www.azawan.com/ que je vous recommande vivement de visiter :
« L'ahwach est à la fois le nom générique donné à la musique de village et le nom d'une danse typique du pays chleuh (Haut-Atlas, Anti-Atlas et Souss). Se pratiquant à l'occasion de toutes les célébrations collectives, ce sont des villageois volontaires qui en assurent l'exécution. C'est une danse mixte précédée d'un chant dialogué, une sorte de joute appelé l'msaq.
Pour les gens du pays, c'est ce chant dialogué qui est la partie la plus appréciée et aussi la plus difficile à réussir. C'est également la plus surprenante par son originalité pour les spectateurs non initiés. L'msaq nécessite la participation d'au moins un improvisateur. Mais il est préférable qu'il y en ait deux ou davantage pour qu'il y ait émulation. Il faut également un groupe de tambourinaires et deux choeurs de femmes. Les deux choeurs se tiennent debout en deux rangées se faisant face, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Ces choeurs doivent être denses, afin d'obtenir un effet de masse chorale compacte sans lequel le chant est jugé inesthétique. L'exécution commence avec l'intervention d'un soliste improvisateur. Il chante une suite de vers appelée «tour de rôle» ou «répartie». Le choeur masculin lui répond en premier, puis vient le tour du choeur des femmes. Un autre soliste intervient avec une nouvelle répartie, puis à nouveau les choeurs et ainsi de suite. les phrases, ponctuées aux tambours sur cadre avec une lenteur solennelle, sont très étirées. les tambourinaires frappent du plat de la main, avec un léger décalage, de manière à obtenir un effet de répercussion, «comme celui d'un muret de pierres qui s'écroule», a-t-on l'habitude de dire. Après un certain nombre de réparties, l'msaq entame une lente évolution (sans transition sensible) qui finit en danse : l'ahwach proprement dit . »
Dans une semaine je serai revenu au Maroc avec un nouveau groupe de peinture . Nous partirons d'Agadir pour une grande traversée de l'Anti Atlas, une descente vers le nord Sahara et un retout par le Haut Atlas . Chacun y réalisera son propre carnet, et à tous nous mettrons en oeuvre un carnet collectif !