Essaouira, premier contact avec une musique identitaire…
La journée à Essaouira est intense…
À midi plat de poissons grillés face à l’océan, tout près du quai des douanes .
Pendant que nous savourons fruits de mer et poissons frais, des musiciens vêtus de blanc, aux instruments de musique étranges se sont approchés . Ils jouent une musique mystérieuse et envoûtante qui fascine Ptit-Jo . C’est son premier contact avec la musique gnawa (on écrit aussi « gnaoua» ) . Les Gnawas sont une confrérie soufi surtout implantée au Maroc, Tunisie et Algérie . Ce sont les descendants des esclaves noirs emmenés d’Afrique de l’Ouest (surtout Sénégal, Mali - le royaume Baramba - Ghana et Guinée) par les conquérants arabes de la fin du XVII ème siècle . Ils sont aujourd’hui depuis longtemps sédentarisés et devenus des hommes libres . Leur musique et leurs chants très particuliers rappellent leurs origines ancestrales, et la nostalgie qui nous envahit toujours lorsqu’on entend cette musique sans trop savoir pourquoi est sans doute liée au rapport de « la guérison » qu’elle entretient (le chant surtout) avec ses pouvoirs thérapeutiques empreints de magie . Il faut dire que les rituels importants auxquels sont liés cette musique et ces chants, sont des cérémonies essentielles ici : elles ont pour but par des rites qui durent généralement très longtemps et aboutissent à des transes de possessions, à guérir, en agissant contre les influences négatives et en invoquant des esprits favorables, comme au cœur de l’Afrique éternelle d’où elles puisent leurs racines . On entend d’abord une improvisation au guembri (sorte de luth à 3 cordes) qui s’efface progressivement derrière les « Krakebs » (sortes de castagnettes en tôle de fer) et les chants accompagnés des tbels (tambours joués avec deux bâtons courbés) . La musique que nous écoutons avec Ptit-Jo n’est qu’une évocation éloignée de celle utilisée par les Gnawas dans leur rituel, (celui de la Lila), produite ici par des musiciens passant de table en table pour des touristes en mal d’exotisme, mais ses sonorités particulières nous touchent tout de même et nous interpellent, par l’énergie qui s’en dégage et son étrange et mystérieuse dimension .
J’en dessine rapidement à l’encre quelques instruments … Difficile d’expliquer à Ptit-Jo les notions d’irrationnel qui prévalent ici, et la nécessité d’entrer dans un questionnement « autre » pour comprendre la valeur de cette musique et son rôle social actuel en Afrique du Nord . Essaouira est un haut lieu de la musique Gnawa avec un festival international de grand intérêt qui lui est entièrement consacré, le prochain ayant lieu du 19 au 23 juin 2007 en sera la 10ème édition : un rendez-vous à ne pas manquer ! De nombreux groupes spécialisés dans cette expression existent ici plus que partout ailleurs au Maroc . Ils se produisent à l’occasion de ce festival confrontant leur talent et leur savoir à celui d’autres groupes venant des villes voisines (Marrakech, Agadir, etc.) mais aussi de tout le pays et des pays voisins, où de grands maîtres, les maâlems, approfondissent les variantes de cette identité musicale de très grande valeur . Le guembri est un long luth au manche cylindrique dont les trois cordes en boyau sont tendues sur une table d'harmonie en peau de chèvre qui peut avoir diverses formes, la plus courante étant rectangulaire . C’est le principal instrument de la cérémonie, exclusivement joué par le maâlem (le maître, initiateur, meneur de cérémonie, et souvent chef de confrérie) . Il est accompagné des « crotales » ou krakebs (voir ci-dessous) et des tambours (tbels,) ainsi que de percussions en terre cuite (tbals) . (Dessin Alain MARC à l’encre de Chine)
Voici l’un des deux « Krakebs » (appelés aussi « quaquabou » ou « krakabs »), autres instruments spécifiques de la musique gnawa, reliés entre eux par une lanière et tenus dans la main, qui sont des sortes de castagnettes de métal en forme de 8, (vues en coupe et en élévation) . (Dessin Alain MARC à l’encre de Chine) Vous faire part de ce souvenir de voyage ne saurait être vraiment utile sans vous parler du travail d’un jeune photographe, Augustin LE GALL, qui en collaboration avec l’un de ses amis, (Virgile JOURDAN photographe également et responsable du projet qu’ils ont nommé « Mémoire d’eux », projet qui correspond à une mise en poésie photographique d’un évènement culturel majeur) a produit un magnifique travail sur ces musiciens Gnawas : lors du festival d’Essaouira 2005, il a réalisé un reportage photographique dont la valeur plastique démontre la profondeur de son regard, de son écoute et de sa communion à travers le viseur de son objectif .
En noir et blanc, dans la force et la sobriété des images qui se révèlent à nous loin du simple cliché, l’âme des Gnawas nous est dévoilée par Augustin dans une lumière émergeant des profondeurs de la conscience où un nouvel « ailleurs » entre réel et imaginaire, a suspendu toute notion du temps … Je vous invite à aller voir ces magnifiques et émouvantes photos à partir du 7 mai courant (le vernissage aura lieu le jeudi 10 mai à partir de 19h si vous voulez faire connaissance avec ces jeunes gens), et ceci jusqu’au 30 juin à l’Institut du Monde Arabe à Paris, belle et méritée reconnaissance de leur travail qui leur est faite là ! Pour en savoir plus, cliquez ici, vous vous retrouverez sur la page web des expositions de l’Institut du Monde Arabe où vous aurez un avant goût de ce qui vous y attend ... Et si vous voulez assister au prochain festival d’Essaouira sachez qu’il aura lieu du 19 au 23 juin 2007 . En attendant, avec l’aimable autorisation d’Augustin j’ai le plaisir de vous offrir « en avant première » quelques extraits de « Mémoire d’eux », l’exposition de l’Institut du Monde Arabe .
Augustin m’écrit : «Ce travail est un mélange entre ce concept d'édition photographique que nous développons avec mon équipier (Virgile Jourdan) et un travail photographique que nous avons entamé il y a 2 ans sur un projet autour des danses et des musiques transes que l'on retrouve autour de la Méditerranée. Ce travail "Mémoire d'eux" est donc à la fois une présentation du concept sur le festival et autres événements culturels et en même temps la première pierre d'un projet dont le Maghreb est la première étape .
Cet hiver, je pars en Tunisie et j'espère en Algérie pour continuer ce
travail auprès de musiciens de transe. puis dans un an ce sera de l'Égytpte à la Turquie … » .