En attendant d’avoir terminé le petit travail sur lequel je m’acharne depuis un bout de temps, (qui devrait être si je parviens à le mener à bien, ma façon personnelle de faire un bilan de l’année écoulée), voici un article en rapport avec une récente actualité de spéléologie, souvenez-vous c’était il y a deux jours à peine …
Je l’écris aussi pour répondre à une intéressante question posée dernièrement par une amie blogueuse que j’apprécie beaucoup, et j’ai pensé en cette période de l’année où on fait des bilans faute de refaire le monde, qu’il serait susceptible de vous intéresser .
Question :
- Toi qui aime les explorations souterraines, que penses-tu de ces explorateurs qui se font coincer régulièrement
et font risquer la vie des sauveteurs ???
- Est-ce que leurs explorations en valent vraiment la peine ?
Départ du puits du «Bénitier», vertigineuse plongée dans l’inconnu et l’obscurité . Aquarelle Alain MARC, Carnet d’exploration de l’Aven Noir .
Réponse :
Je réponds avec retard à ta question, excuse-moi, et te remercie de l’avoir posée .
Je le fais en deux points selon mon expérience et mon point de vue :
a) - Le problème est inexplicable ou plutôt incompréhensible pour le grand public .
Heureusement, ce sont les autorités elles-mêmes (en ce qui nous concerne) qui ont conclues après la remontée des 3 spéléologues que ce n'était pas de leur faute (dans le cas de ce dernier fait
divers dont la télévision et la presse se sont largement faits l’écho ces jours-ci, j'en attendais d’ailleurs le dénouement pour te répondre, mais ma réponse aurait été la même quelle que soit la
façon dont cet évènement se serait terminé), et qu'ils n'avaient commis aucune erreur ...
Il y a une solidarité entre gens de la montagne et du monde souterrain qui fait qu'on ne voit pas les choses de la même manière que les voient la presse, les médias et le public qui suit sans
connaissance de cause et réagit sans perception réelle de ce type d'évènement, des motivations qui en sont à l'origine et de l'engagement qui y est lié .
Lorsque les explorateurs sont totalement néophytes ou très imprudents il est normal qu'on se pose des questions, et encore personnellement je les nuancerais car les associations, clubs et autres
lieux de formation font énormément pour éviter une pratique irresponsable ou dangereuse de nos activités .
En ce qui concerne ce gouffre des Pyrénées, pour aller là où ils étaient, il faut déjà être très bien équipé et bénéficier d'un très bon niveau . Beaucoup de spéléologues (ou d'alpinistes) de ce
niveau-là ont déjà participé à des secours de leurs collègues, et quand à leur tour ils se font piéger ce ne sont généralement pas ceux qui vont aller à leur recherche qui vont les incriminer
.
Les impondérables et dangers objectifs existent aussi bien en montagne, spéléologie, que dans toute autre exploration ou pratique sportive engagée . On le sait lorsqu'on part, et on n'est pas à
l'abri d'un imprévu qui peut mal tourner même si on a pris toutes les précautions pour ne pas se mettre en danger, encore moins mettre autrui en danger .
On peut s'entraîner considérablement, être au "top" de sa forme, de la pratique et de la technique, pourtant un incident grave ou accident peut toujours arriver et l'entraînement passe aussi par l'anticipation et «l'auto prise en charge» de tous les cas de figure envisageables .
Je sais de quoi je parle, et je suis révolté lorsque j'entends des gens qui n'y connaissent rien avoir certains raisonnements, ou pire juger sans connaître le
problème et n'avoir aucune expérience de terrain, il n’y a rien de pire que de parler de ce que l’on ne connaît pas !
En tout cas en ce qui me concerne je ne jetterai jamais la pierre à qui se trouve ou se trouverait piégé par un imprévu .
Je pourrais écrire des pages à ce sujet : mon vécu de spéléologue, de libériste et de montagnard est passée par là, des deux côtés de ce type d'expérience (je te donne plus d’explications concrètes dans ma réponse directe à ta question dans les commentaires d’un article précédent sur ce blog) .
C’est en se trouvant tout à coup face à de telles splendeurs dans une immensité qu’on croirait directement surgie des plus imaginatifs et féeriques décors de fiction, qu’on se rend compte combien la vie malgré les grands bonheurs qu’elle peut parfois nous réserver peut être perçue en surface comme insipide au quotidien, et combien il y a dans les derniers mondes encore totalement vierges de cette planète toute la dimension d’une épopée qui vaut à elle seule la peine d’être vécue en allant jusqu’au bout de soi pour s’y projeter …
On rejoint là les valeurs éternelles des premiers explorateurs et des «dépassements d’horizon» : en les dépassant,
on donne à ceux qui nous suivent de nouveaux territoires pour qu’ils puissent s’y accomplir .
Nota : j’ai
réalisé cette photo sans aucun trucage, il n’y a pas là les jeux de projecteurs colorés qui font la joie des exploitants de grottes touristiques, nous sommes tout simplement dans un autre
univers, les volumes, les formes et les couleurs sont bien réels, en tout cas ici en décalage complet par rapports aux autres cavités souterraines que je connais . (Photo Alain
MARC)
b) - Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Alors là avec cette question, on entre effectivement au coeur du sujet pour tellement de gens ...
Pour nous, elle ne se pose même pas .
… D’ailleurs la vie elle-même vaut-elle la peine d'être vécue sachant tous les dangers, les maladies et les risques qui nous guettent y compris pour ceux qui ne font rien, et puis quand bien même
se serait-on grandement protégés toute son existence, un jour, il faut bien mourir malgré tout l’immense respect que nous avons pour nos vies et plus encore pour celle des autres ?
Je peux te citer tous les poncifs de l'oeuvre des grands explorateurs, alpinistes, spéléologues, on y trouve mille réponses, pour ma part j’en ai des rayons entiers, je renvoie ceux qui liront
ces lignes aux «classiques» qu’ils pourront se procurer .
Ces œuvres comportent toutes les réponses aussi importantes que la vie qui peut être mise en jeu pour ces valeurs-là, et Dieu sait si ceux qui les ont formulées aiment ou aimaient la vie !
Je te dirai pour ma part que oui, même si on ne découvre rien, même si c'est juste la passion qui nous mène au bout de nous-même et de cet ailleurs où le dépassement est une projection de notre
raison d'exister, que cet engagement en vaut la peine, il en vaut autant la peine que toute oeuvre créative car il est création dans cet éphémère qui nous modèle intérieurement comme si nous
étions nous-mêmes produits de notre propre création .
Là, je sais que je ne serai suivi que par ceux qui «savent», … ou qui ont cette intime perception qui se rapproche de l’intuition .
Pour les autres ce ne seront que brèves de comptoir ou littérature .
Ou plutôt je leur dirai : - avez-vous été voir le film "AVATAR", à l'écran ces temps-ci, qui a tant de succès ?
Eh bien si les foules s'y précipitent, c'est que notre besoin de projection dans d'autres formes de réalités, les nécessités de combler notre imaginaire et les manques d'un absolu qui peut donner
un sens à nos vies sont immenses dans le quotidien de la plupart des gens .
Admiration pour cette fiction où les «connexions» des conducteurs dans les processeurs informatiques autant que dans les cerveaux des acteurs, des techniciens et créatifs ont bien fonctionnées, à
commencer par celui de James CAMERON : allez voir ce film, il est prodigieux à bien des égards . Il touche même au merveilleux .
Coupe d’un remplissage stratifié (détail), Aquarelle et encre Alain MARC, Carnet d’exploration de l’Aven Noir
.
Hors la haute montagne, le monde souterrain, le vol libre et tous les autres bouts de monde dont on sait les engagements qui nous y mènent, sont autant «d'AVATARS» que nous vivons, mais nous ne les vivons pas par imagination ou personne interposée mais par nous-mêmes, et les mondes que nous visitons ont dans la réalité la dimension des plus merveilleuses séquences de ce film, nous y entrons réellement avec prudence et humilité .
Ils représentent à eux seuls la raison même d'y aller .
Dans notre cas précis au fond du gouffre de l'Aven Noir nous avons beaucoup de chance, car nous savons en plus aujourd'hui ce que nous sommes en train
d'apporter à la multiple connaissance de cette région karstique des Grands Causses, et par conséquent à la science car les découvertes réalisées y sont importantes .
Et encore je ne suis que témoin, un modeste petit dessinateur carnettiste qui ne peut communiquer ici les premières études des scientifiques qui commencent à se pencher sur le problème, les
merveilles entrevues, les perspectives possibles .
Essentielles aujourd’hui plus que jamais pour la connaissance et le maintien des équilibres naturels souterrains avec leur implication sur les écosystèmes de surface, les ressources souterraines
et un nombre incroyable de choses ...
Ce que je sais, c'est que grâce à l'acharnement de notre responsable d'exploration, à son opiniâtreté, à sa témérité maîtrisée, à son courage, à son travail, à son expérience, à ses prises de
risques calculées, c'est une vaste zone toute entière qui est en train d'être sauvegardée, avec son classement par le Ministère de l'Environnement, sa protection de la faune et de la flore, du
milieu karstique tout entier, de l'harmonisation et de la mise en valeur du patrimoine paysager aussi bien qu’architectural de tout le secteur (lignes électriques et téléphoniques
en cours d’enfouissement ou déjà enterrées, encadrement du nouveau bâti rural, etc.) ce que nos enfants, petits enfants, et les heureux descendants héritiers des zones concernées seront fiers
d'avoir un jour car ils en seront les bénéficiaires, celui d’un trésor, ce dont leurs parents ou grands parents ne sont pas encore toujours conscients .
Ma carte de vœux si vous avez eu la patience de me
lire jusqu’ici .
Je répondrai à vos nombreux vœux dont je vous remercie chaleureusement individuellement, mais je le fais déjà à travers cette photo prise en exploration au fond de l’Aven Noir . Parmi les innombrables merveilles de ce gouffre, des buissons d’aiguilles et de perles d’aragonite sur socle de calcite, saturés d’humidité, voilà ce que nous découvrions à profusion cette fois-là après plusieurs jours de progression . Un décor de Noël caché depuis des millénaires, Roland se joint à moi pour vous l’offrir pour les vœux 2010, c’est peut-être l’une des plus extraordinaires carte de vœux qu’on puisse imaginer quand on sait l'itinéraire suivi pour aller la chercher … (Photo Alain MARC)
Et pourtant, quand mon copain Roland PELISSIER, découvreur de ces nouveaux réseaux et responsable des explorations, s'engagea seul à près d'une centaine de mètres sous terre il y a plus de 10 ans et dans des conditions très difficiles en escaladant l’improbable fissure qui le conduisit à cette fabuleuse découverte, il n'avait que la passion pour le guider, il ne pouvait savoir ce qui l'attendait mais il en avait le rêve comme moteur, et c'est grâce à ce moteur qu'il a transformé ce rêve en réalité !
- Qu'aurait-on dit de lui s'il lui était arrivé quelque chose ?
- Que se serait-il passé ?
- Qu'auraient véhiculé les médias qui l'ont loué, encensé, et se sont faits l'écho de sa découverte ?
Je vous reparlerai l'an prochain d'un film dont nous sommes quelques-uns des modestes acteurs au fond de ce gouffre de l’Aven Noir (en tout cas lorsqu’il sortira sur nos petits écrans) : je pense
que tu verras alors à travers le regard du réalisateur, (et bien d'autres de mes lectrices et lecteurs
aussi) ce que nous y avons rencontré et que nous lui avons également fait partager (au moins en infime partie), c'est à dire,
par delà notre passion, une autre définition de la beauté .
Je sais alors que tu nous comprendras ...