Peindre un igloo …
Pour peindre un igloo, il faut un igloo !
Pas pour le regarder et le reproduire, mais pour le réaliser de ses mains dans la neige, sa tête, et son cœur …
Après seulement on peut le peindre les yeux fermés, on s’y voit dans une nuit étoilée tout près d’un feu de camp pour se réchauffer, nous n’avons plus besoin de modèle parce que c’est l’esprit du modèle lui-même qui nous habite .
C’est l’expérience que j’ai réalisée aujourd’hui avec Petit Jo .
La forêt des Palanges enneigée est superbe en cette mi-février on peut se rêver trappeur, petit frère des esquimaux …
Tout commence par un cercle tracé sur le sol . Le cercle est une figure magique où tout peut commencer .
Je songe à Gaston Bachelard dans sa « Poétique de l’espace », à propos de la phénoménologie du rond . Il cite Van Gogh qui écrivit : « La vie est probablement ronde », et Joë Bousquet : « On lui a dit que la vie est belle . Non ! La vie est ronde . »
Petit à petit Jo entre dans le cercle qui devient spatiale rondeur, qui devient sphérique, avec une ouverture pour investir le monde et pour revenir se réfugier …
Bientôt l’igloo est terminé, chargé de symboles et de poétiques images immaculées . Il est calice à la renverse, et comme le disait si bien Jean Laroche dans l’un de ses vers « Tout calice est demeure » .
Il faut investir les lieux nés de nos rêves, pour que d’autres rêves nous portent vers de plus belles réalités . Il en est ainsi de la création artistique qui devrait toujours naître à travers nous par d’autres voies que celles de notre simple imagination, puisant ses racines jusque dans les profondeurs obscures de notre propre identité .
Acte chamanique où se lie le globe de la terre à la rondeur de l’espace, à travers cette bulle toute de blancheur .
« Je l’invente, mes mains dessinent un nuage,
Un bateau de grand ciel au dessus des forêts … »
(Pierre Seghers « Le domaine public ») .
Il est temps d’écrire sur une feuille morte dans l’éphémère fragilité de l’instant le poème de la vie dans toute son éternité . Si la pensée avait une maison l’igloo en serait la conscience, on pourrait y refaire le monde, et tout y commencer .
Référence encore à Gaston Bachelard : « … voilà qu’on se tient dans la rondeur de l’être, qu’on vit dans la rondeur de la vie comme la noix qui s’arrondit dans sa coquille . Le philosophe, le peintre, le poète et le fabuliste nous ont donné un document de phénoménologie pure . À nous maintenant de nous en servir pour apprendre le rassemblement de l'être en son centre … Encore une fois, les images de la rondeur pleine nous aident à nous rassembler sur nous-mêmes, à nous donner à nous-mêmes une première constitution, à affirmer notre être intimement, par le dedans . Car vécu du dedans, sans extériorité, l’être ne saurait être que rond . »
Petit Jo prépare ses couleurs . Nous sommes loin de l’igloo, c’est maintenant l’igloo qui l’habite . Préparer ses couleurs appartient au processus pictural dans la logique de la construction des mondes que nous devons inventer .
Retrouver la rondeur d’un lieu mémorisé et transcendé pour passer à une autre réalité : celle d’un lieu éternisé …
L’igloo est là dans la nuit étoilée . La lune, autre sphère coupée ici dans sa moitié par Petit Jo, (comme un reflet inversé de l’igloo), illumine la clairière enneigée . Un feu de bois brûle tout à côté et Petit Jo regarde la coupole céleste où il a peint les étoiles comme si elles décrivaient déjà un arc de cercle dans leur déplacement concentrique autour de l’Étoile Polaire, mais cela Petit Jo ne le sait pas . Une porte arrondie appuyée contre l’entrée laisse supposer qu’on peut s’enfermer à l’intérieur de l’igloo pour s’abriter des incertitudes de la nuit …
« Demander à l’enfant de dessiner la maison, c’est lui demander de révéler le rêve le plus profond où il veut abriter son bonheur … »
(« De Van Gog et Seurat aux dessins d’enfants », guide catalogue d’une exposition au Musée Pédagogique réalisée en 1949, article de Madame BALIF) .