Ce soir, parmi les e-mails venus s’ajouter à ceux de toutes et tous mes camarades carnettistes en union de pensée autour de la mémoire de Michel RENAUD, voici celui de SIMON, envoyé depuis Pékin, je sais que vous comprendrez mieux qui était Michel pour nous.
Chers amis voyageurs, dessinateurs, écrivains, journalistes, gribouilleurs de tout poil, J'apprends de Pékin la tragédie et voudrais être parmi vous.
Je vous envoie le petit texte que j'ai écrit en apprenant l'assassinat de Michel.
Toutes nos pensées affectueuses à Gala, à sa famille et aux proches.
Simon
"1999... Il débarque avec un imper, je crois, un soir de pluie en banlieue parisienne. Dans ma petite maison. Je ne l'avais jamais vu. Il avait donné un coup de fil... "Un festival du carnet de voyage, patati et patata..." Je venais de publier Au Corps de l'Inde à la Boussole, j'étais un inconnu, lui aussi - faits pour s'entendre. Les salauds qui l'ont tué n'ont jamais entendu son rire d'enfant. C'était un joueur, Michel, un tendre avec des moments de volcan. On s'est entendu tout de suite. Je l'ai fait asseoir dans mon vieux canapé immonde, et on a bu un verre. J'aime bien les rondouillets. Ils sont en phase avec la rotondité de la planète. Les gens vrais. Et il avait déjà deux sortes de nuages à la place des cheveux, vous voyez ? Un rêveur. Il était à la Mairie de Clermont, ils avaient créé une association, montaient un projet... On a parlé de ce fameux festival, il m'a emballé... Li était la, écoutant ce gourmand en mangeant des raviolis chinois, qui giclaient sous ses gencives... Je ne me souviens plus du vin... Évidemment, la première Biennale, si je m'en souviens ! Les salauds qui l'ont tué sans le connaître n'ont jamais vu sa joie, entendu sa voix, quand il se baladait parmi nous, les carnettistes pionniers... J'ai pleuré toute l'après midi, aujourd'hui 8 janvier, quand j'ai appris par un mail d'amie qu'il faisait partie des victimes de la boucherie de Charlie-Hebdo - ici, à Pekin, loin de Paris, des amis. Ces jours d'effroi et de chagrin cinglant où on a envie de serrer tous ses amis dans ses bras. Où celui qui est parti vous manque, où tout le monde vous manque. Les Biennales se sont suivies. Les voyages, les livres, les rencontres. Michel était un entremetteur, un peu entremerdeur, parfois, bougon et difficile, mais la générosité l'emportait toujours. Il avait ses têtes, ses chouchous et ses tronches... Mais on lui doit tant. Je lui ai envoyé chacun de mes livres, à lui en premier. Il a vu naître les Carnettistes Tribulants, nos premiers bouquins... Les salauds qui l'ont tué n'ont pas su ce qu'il a donné, n'ont pas vu la petite étincelle du voyageur dans ses yeux quand ils l'ont troué. Michel et les autres, bien sûr, toute la bande de Clermont, ont éclairé pour moi, et pour d'autres, bien sûr, cette décennie de feuillets merveilleux, les carnets de voyage. On en salivait, de ce rendez-vous annuel. Et on voyait ses deux nuages latéraux flotter parmi les stands, le jour de l'ouverture... Va-t-il s'envoler ?Je me souviens aussi d'un diner dans le treizième, avec Gala : nous étions aller manger une dorade à la vapeur à Fleur de Mai, et Li croit se souvenir qu'il ne mangeait pas de gingembre... La vie, comme pour moi, lui avait donné une femme venue d'ailleurs. Gala ! Dieu leur pardonne, Gala, ils ne savent pas qui ils ont tué, Michel Renaud - et toute une bande de dessinateurs, de journalistes, de flics innocents, de gens libres... L'histoire avec Michel a eu pour moi une apothéose... 2009. Il savait. Je présentais "Sahara, Marche avec moi" avec mon beau-frère Lakhdar, touareg... Michel savait. Et il a fait celui qui ne me connaissait pas; j'étais vexé. Avec le maire, ils sont passés à l'écart de la tente touarègue, pour ne pas me mettre la puce à l'oreille, m'a-t-il avoué après. Le fripon. C'est le jour où, quelques heures après, il nous a remis le grand prix du Carnet de voyage ! Je revois la photo, Lakhdar avec son chèche magnifique, Michel avec ses deux nuages prêts au décollage, ses yeux pétillants, Monsieur le Maire, digne et souriant, massif, et moi le poids plume.... Michel, ils ne savent pas, les salauds qui t'ont flingué, combien l'amitié, et l'une de ses fidèles servantes, la liberté de parole, ne meurent jamais. Et que tes cheveux nomades nous accompagnent toujours !
Simon, le 8 janvier, Pékin."