Andalousie, les tumultes de Grenade …
Voici Grenade au fond de sa cuvette, blottie au pied de la Sierra Nevada .
Combien de fois y suis-je arrivé par l’ancienne route de Murcie, qui descend vers le centre en serpentant le long de l’Albacin ?
C’est toujours ma route préférée car l’impression d’aboutir à une sorte de sanctuaire y est bien plus forte que par l’autoroute et le périphérique dit de « circonvolucion » . C’est surtout parce que cette arrivée nous plonge dans l’irréelle vision des collines de l’Alhambra, comme la connurent sans doute les troupes d’Isabelle la Catholique lorsque après deux siècles d’impatience, d’intrigues et de combats, elles virent enfin s’élever derrière les murailles au dessus de la cité les minarets de briques roses, et flotter au dessus des palais les oriflammes multicolores aux insignes du roi Nasride .
La ville de Grenade au pied de l’Alhambra ... (photo Alain MARC)
Éprouvante réalité ce matin : point d’oriflammes ni de blanche médina pour nous accueillir, mais des travaux sur la voie publique dans toutes la ville, en même temps qu’une nouvelle et draconienne réglementation de circulation urbaine qui nous empêche d’arriver à l’hôtel . Aussi nous passons quatre heures dans un interminable jeu de pistes où éviter les sens interdits, les embouteillages et les agents de circulation nous chassant du centre ville relève de l’exploit !
Infernale Grenade pour la circulation routière …
Exténués, nous parvenons enfin à trouver un parking non loin de notre hôtel, et entrons affamés dans la première bodega venue où d’énormes jambons accroché au plafond sont en train de narguer la faim qui nous tenaille .
Les "bodegas", les "tascas", une richesse de l'art de vivre au pays de Cervantès ! Excellence des tapas, c’est ce qui fait tout le charme des commodités espagnoles : pouvoir se restaurer à n’importe quelle heure et de ne plus se soucier d’autre chose que de la convivialité de cet instant . Et quand bien même seriez-vous un nordique endurci prenant vos repas à heure très précise, vos serez bien obligés en Espagne de prendre d’autres habitudes et de manger fort tard ou à toutes les heures, ce qui est très déroutant au début pour qui ne connaît pas .
Grand choix de tapas, excellentes et copieuses à choisir au comptoir … (photo Alain MARC)
Mais quand vous en serez à la quatrième « copita », au jambon Serrano, aux propos d’amitié sur fond de brouhaha teinté de flamenco, alors là difficile de penser au retour et aux grises journées de beaucoup de banlieues de nos villes nordiques .
La bodega où nous nous précipitons affamés par notre arrivée épuisante à Grenade : typiquement andalouse avec ses tonneaux empilés et le trophée du taureau au dessus du bar . (photo Alain MARC)
Il y a trop à dire sur Grenade . Je ne peux être bref, et encore je me limite . J’espère pouvoir le faire un jour .
En attendant, nous regardons depuis la ville basse la citadelle de l’Alhambra, comme sur un nuage . Nous n’aurons pas le temps d’y monter cette fois, mais nous y reviendrons pendant le stage du mois d’avril . Personnellement, il y a longtemps que je connais ce palais des Mille et Une Nuits, j’y consacrerai un jour tout un chapitre … Il faut dire qu’à présent après tous ces tracas dans la circulation urbaine, nous n’avons qu’un désir : paix et tranquillité loin du tourisme de masse qui gâche en grande partie tout séjour à Grenade !
Yolande me dessine en train de repenser le monde autour des tapas … (croquis Yolande GERDIL)
Nous laissons donc le rêve sirupeux des jardins merveilleux accrochés à leurs murailles et prenons la direction des vieux quartiers dans la ville basse où d’ ostensibles stigmates vestiges d’un passé multiple et bouleversant réapparaissent souvent sous les plâtras d’une façade, dans la pénombre d’un passage, ou mieux encore dans une mélopée entendue au hasard à l’angle d’une rue, ou dans le regard noir, vague et mystérieux d’un passant disparaissant sous quelque porte cochère .
La cathédrale de Grenade . (aquarelle Alain MARC)
Ici le minaret d’une ancienne mosquée, là une porte moresque ou juive, ailleurs l’appel étrange et lancinant d’un vendeur de billets de loterie ou d’une marchande des quatre saisons, parfois les suppliques d’un mendiant …
« Alcaicéria », « Corral del carbon », quartiers sombres et bruyants, entrelacs des ruelles derrière la cathédrale, places de Ribrambla ou de la Trinitad, autant de lieux qui disent et redisent toute la suffisance des colons conquérants et des secrets honteux qui empreignent encore d’une immense tristesse les vielles pierres noircies de promesses trahies aux arcanes des siècles .
Place Santa Ana et église du même nom à l’ancien minaret mudéjar transformé en clocher . Au dessus, sur la colline une tour de la « alcazaba » tête de proue du palais de l’Alhambra . (photo Alain MARC)
Yolande et Pierre dessinent de leur côté, on se retrouvera Plaza Santa Ana et moi je pars tout seul en quête de cette âme doucereuse, amère et tragique dans la mémoire de Grenade …
La place Santa Ana par Pierre Nava, superbe représentation !
Ce n’est plus le regard seulement qui écoute : de toute la clameur des rumeurs de la ville se répète un écho qui traverse le corps …
Il est là comme un souffle, cet immuable et obscur tumulte que Lorca dénonçait et dont il fut la victime comme tant d’autre avant lui, juifs, noir, morisques, socialos, communistes, intellos libéraux et autres syndicalistes :
« Y hoy que el hombre profana tu sépulcral encanto,
quiero que entre tus ruinas se adormezca mi canto
como un pajaro herido por astral cazador . »
« Et aujourd’hui que l’homme profane ton sépulcral enchantement,
je veux qu’au sein de tes ruines s’endorme ma chanson
comme un oiseau blessé par un astral chasseur . »
« Granada », Frédérico Garcia Lorca .
Place Paseigas, depuis l’étal de la marchande
des quatre saisons . (photo Alain MARC)
Rue de Elvira, San Augustin, Almireceros ...
Je viens de saisir quelques bribes sonores de cette mémoire de Grenade, infiniment précieuses parce que si peu perceptibles de tant de visiteurs indifférents à de telles consonances, et qui n’ont d’yeux et d’oreilles que pour l’éblouissant Alhambra !
J’essaierai dès demain de les mettre en ligne et de vous les offrir avant que de partir avec Yolande et Pierre pour un lieu différent où bat aussi très fort le cœur de Grenade : le vieux quartier arabe de l’Albacin, l’ancienne médina, si chère à Manuel de Falla, une autre approche de l’âme grenadine où j’essaierai aussi de réaliser quelques enregistrements qui puissent en révéler, si possible, la «secrète musique » .