Deuxième partie du portrait de Roland, dans lequel nous faisons mieux connaissance avec la genèse de sa découverte ainsi que de l’Aven Noir comme importante et mystérieuse entité de la région des Grands Causses .
J’espère que cet article sera pour vous un vrai « document de connaissance », mais aussi une belle rencontre avec l’histoire bien souvent
trop secrète qui unit les hommes aux profondeurs de leur terroir …
Roland PELISSIER et Jean-Louis
GALERA en train d’installer le balisage destiné à préserver le milieu pendant les cheminements au fond de l’Aven Noir . Un chemin de protection en plastique vient d’être déposé à même le sol pour
limiter les effets du passage sur le très fragile plancher stalagmitique … (Photo Alain MARC)
Resituons-nous dans « l’idée des cavernes » qui habite l’imagination populaire au début du siècle dernier : elle est encore influencée par
l’œuvre de Jules VERNE où le contexte social, scientifique et technique de la fin du 19° siècle apporte ses notions de croyances en la toute puissance de la science et de la technique . La
« révolution industrielle » succédant à la « révolution agricole » (toujours en cours à ce moment-là sur les hauts plateaux cévenols) est passée par ici, et Jules VERNE a
profondément marqué les esprits par ses romans où la problématique de l’espace et du temps repose la question de l’homme face à sa place dans l’univers .
Les notions de « Voyages Extraordinaires » calquées sur les avancées et exploits technologiques de cette période charnière (débuts de
l’aviation, avènement de nouvelles conquêtes et découvertes, etc.), et plus particulièrement de voyages « spatio-temporels » à la rencontre de nos origines telles qu’elles s’expriment
dans l’un de ses romans majeurs (« Voyage au centre de la terre » 1864), accentuent dans l’imaginaire des cités et campagnes caussenardes la curiosité pour les
entrailles de la terre, la géologie, le monde minéralogique autant que pour les vestiges du passé et la quête de nouvelles aventures souterraines .
Parallèlement, un grand savant, aventurier et explorateur, l’hydrogéologue Edouard-Alfred MARTEL parcourt le pays allant sur (et sous !) le terrain,
de découvertes en explorations, partageant ses études et exploits avec les gens de la région (tels l’un de ses plus fidèles compagnons Louis ARMAND qui donna son nom au célèbre aven), explorant
plus de 250 grottes ou abîmes, dynamisant la région toute entière de 1883 à 1930, année où il passe en quelque sorte « le relais » à un jeune spéléologue et préhistorien Millavois qu’il
connaît déjà depuis plus de 10 ans, Louis BALSAN, qui va avec ses équipiers continuer l’explorations des Grands Causses .
C’est dire si le pays d’ici tout entier a depuis des siècles le regard tourné vers le monde souterrain !
Au milieu des goutelettes d'eau et de buée devant l'objectif, pendant la progression : Roland fixe des « rubalises » tout au long du cheminement le mieux adapté à la
protection du milieu, afin que nul ne soit tenté, emporté par une curiosité bien légitime, de piétiner les incroyables petites aiguilles de gypse qui tapissent le sol … (Photo Alain MARC)
Et l’Aven Noir, me direz-vous ? - Il est « passé » au travers de toutes ces recherches et ce n’est qu’en 1933 sur les indications d’un
habitant de la vallée, que Louis BALSAN et son équipe descendent les premiers au fond du grand puits d’entrée et en explorent les prolongements immédiats .
Aussitôt l’aven bénéficie de l’aura des grandes découvertes : n’oublions pas que nous sommes à ce moment-là au lendemain de cette époque légendaire
évoquée plus haut .
BALSAN est enthousiaste, et ses descriptions ne laissent planer aucun doute sur l’importance de ce gouffre : « En se penchant sur le vide,
l’impression est saisissante et il est amusant au possible de voir, dans le chaos de rochers et de stalagmites moussues qui forment le fond, les explorateurs peiner à gravir des blocs qui, au
premier abord, paraissent minuscules … »
Surprise de taille : les premiers explorateurs découvrent en bas du grand puits de l’entrée des foyers qu’ils pensent préhistoriques ! - Comment des
hommes avaient-ils il y a très longtemps pu pénétrer ici ?
L. BALSAN et son équipe revinrent pendant plusieurs années sur cette cavité, espérant passer dans les grands réseaux qu’ils
pressentaient . Cependant malgré l’usage d’explosif et de nombreuses désobstructions, leurs tentatives se montrèrent vaines . Il en conclut : « … Les dédales et éboulis, incomplètement
explorés de l’Aven Noir, révèleront sûrement un jour de nouveaux passages . Il n’en reste pas moins déjà, dans l’état présent des recherches, l’un des plus grandioses abîmes des Grands Causses
. » (réf : « Grottes et Abîmes des Grands Causses » L. BALSAN Editions Maury Millau 1950) .
Arrivés au bivouac, chacun s’implique dans une tâche : pendant que Roland nous prépare une soupe bien chaude (quel réconfort !) je le dessine à toute vitesse avant même de
quitter mon équipement et ma combinaison … (Photo Jean-Louis GALERA)
10 ans après la parution de cet ouvrage, Roland PELISSIER, qui fait déjà partie du Spéléo Club du Causse Comtal, rencontre ce maître incontesté de
l’exploration caussenarde . C’est le début d’une nouvelle aventure qui se profile dans la pénombre de l’Aven Noir . Notre jeune spéléologue avec ses coéquipiers s’enfonce à son tour dans ce
gouffre mystérieux, et dès ce premier contact, il découvre une centaine de mètres de galeries nouvelles jusqu’à un grand surplomb vertical interrompant leur progression . Les années passent où le
club de Roland est pris par d’autres priorités . C’est un autre club, le GERSAM de Montpellier qui franchit cet obstacle en 1975 à l’aide d’un mat d’escalade, poussant son exploration jusqu’à une
salle dans les hauteurs de laquelle une cheminée se termine en étroiture infranchissable, en dégageant un puissant et glacial courant d’air .
C’est à cet obstacle que s’attaque Roland, pendant 14 ans, encouragé dans ses efforts par un autre personnage remarquable poète et écrivain en
partie propriétaire de l’entrée du fameux aven : Jacques MACARY .
Toutes ces années, Roland travaille avec acharnement coincé dans cette fissure au dessus du vide, souvent seul, parfois accompagné de camarades
spéléologues, grimpeurs ou « canyonneurs » !
À la force du poignet d’abord, avec pour seul outillage un burin et un marteau, puis par des moyens plus
efficaces au moment de la réussite du passage en avril 1999 .
C’est alors la découverte et l’exploration du grandiose « Réseau des trois Pierres », (du nom des plus proches amis de Roland au début de
l’aventure) et celle du développement MACARY - PÉLISSIER avec le renfort de nouveaux équipiers dont je parlerai plus tard .
Depuis c’est l’exploration du prolongement de ces réseaux qui continue, les amenant à près de 20 kilomètres d’extension à l’heure actuelle .
Par delà la formidable aventure humaine et sportive que cela représente, c’est sur le plan scientifique que s’affirme la plus grande valeur de la
découverte : non seulement à cause des merveilles naturelles et minéralogiques qu’elle recèle, mais surtout pour la compréhension géologique de l’histoire des Grands Causses de cette zone du
Karst adossée au Mont Aigoual depuis la fin du tertiaire .
Roland
PÉLISSIER préparant le repas à la lumière des frontales et d’une bougie, sur la table monolithique qui n’avait jamais connu cela depuis la nuit des temps ! (Croquis aquarellé Alain
MARC)
Cette découverte a attisé bien des convoitises et soulevé de nombreuses polémiques car le libre accès à ces nouveaux
réseaux avait été dès le début des explorations (en accord avec les propriétaires et les communes concernées) interdit par une trappe verrouillée afin d’en protéger le patrimoine . Au point que
cette trappe a même été détruite à l’explosif en fin d’année dernière !
Un nouveau système de protection est aujourd’hui en place bien plus efficace et solide, espérons qu’il permettra de
transmettre en l’état aux générations futures l’immense et passionnant patrimoine de l’Aven Noir .
Quant à Roland PÉLISSIER, il peut revendiquer avec la plus grande légitimité son statut de « découvreur - inventeur », qui lui confère
fort justement la paternité de cette découverte et la responsabilité de sa gestion vis-à-vis des tiers concernés, en attendant son prochain classement par les instances habilitées de l’État
.
Et de son portrait, je dirai en lui apportant les dernières touches, qu’il s’inscrit dans la lignée des grandes figures évoquées plus haut, le
plaçant ainsi parmi les élus démiurges des tutélaires entrailles de l’Aven Noir .
« Les secrets de l’Aven Noir » . Clip vidéo montage et musique d’Alain MARC au format FLASH - FLV réalisé à partir des photos de
Roland PELISSIER, prises par le collectif des photographes spéléologues . (Attendre quelques secondes après lancement que le téléchargement du clip se fasse normalement en streaming, recliquer
sur le bouton de lecture s’il ne démarre pas au bout d’une quinzaine de secondes, le relire en fin de chargement si chargement hachuré par le streaming .)